Interventions critiques (Volume I) : Questions d ... - Marc Angenot
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Le lecteur qui reçoit le rapport est invité par le texte, on verra comment, à se<br />
positionner à l’intérieur des deux cercles (Standort des Subjekts, Gadamer).<br />
Un docteur de la loi (Nomikos) se lève et dit à Jésus, pour l’éprouver (lui faire subir un<br />
examen): «Maître, que dois-je faire pour obtenir la vie éternelle?» (X,25)<br />
À partir d’ici, le récit englobant de la disputatio se développe suivant un jeu de feintes<br />
dialogiques où la pragmatique du dialogue semble prendre le pas sur la véridiction des<br />
contenus. Si je ne parvenais à lire, ce jeu de feintes que sur le niveau de l’anecdote<br />
expressive, je n’y verrais qu’une expansion de l’adage: «à malin, malin et demi», – où, moi<br />
lecteur, je prendrais d’autant plus nécessairement le parti de ce Iêsous qu’il est, dans la<br />
circonstance, à chaque réplique, le plus malin, c’est-à-dire celui qui gagne chaque coup de la<br />
partie dialogique en transgressant, à chaque fois, la règle du jeu imposée par le Nomikos.<br />
C’est un jeu de pouvoir, le jeu de la Loi (celui-là même qu’a raconté Roger Vaillant dans la<br />
Loi), où le pouvoir est pouvoir d’imposer la règle du jeu, où la question impose le droit de<br />
questionner et met en position d’infériorité celui qui accepte de répondre. Au-delà de<br />
l’anecdote et de l’euphorie qui s’empare du lecteur à voir Iêsous «coller» l’homme de<br />
l’ancienne Loi, il faut noter que la stratégie même du récit m’a posé de son côté, parce que<br />
Iêsous «met les rieurs de son côté», du côté de la Parole vivante qui affronte la Lettre morte,<br />
la citation psittaciste du Deutéronome.<br />
Donc on me narre un affrontement dialogique fait de stratégies feintes (je t’appelle<br />
«Maître» parce que je veux t’imposer ma Loi – ou: je réponds naïvement en te renvoyant la<br />
balle pour te coincer dans ta réponse, puisque tu ne peux éviter de répondre, ni éviter dès<br />
lors de te faire le répondeur de ta propre question...). La syntagmatique se déploie par une<br />
constante discordance entre l’expectation réglée du dialogue et le recours à un «coup»<br />
pragmatique imprévu. À la question du Nomikos devrait répondre normalement une citationréponse,<br />
par exemple le verset du Deutéronome VI, 5.<br />
Mais cette question est une fausse question, comme dans tout examen, où le<br />
questionneur connaît la réponse et le questionné est présumé ne pas trop bien la connaître.<br />
Il est donc possible de feindre que la question était une vraie question et celui qu’on a appelé<br />
«Maître» s’étonne à bon droit et réclame la citation pertinente: «Dans la Loi, qu’est-ce qui<br />
est écrit, comment la comprends-tu?» (26) Coincé une première fois, le Docteur de la Loi<br />
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