Interventions critiques (Volume I) : Questions d ... - Marc Angenot
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immédiatement des écrans par ordre judiciaire – quant aux perversions «dégradantes», par<br />
opposition, suppose-t-on, à ces autres perversions sexuelles qui seraient raisonnables, dignes<br />
et honorables (ou peut-être ces perversions qui, bien que dégradantes, ne seraient pas<br />
sexuelles?), le législateur se garde bien de dire lesquelles il vise ainsi.<br />
Ces dispositions reprennent la loi Jolibois qui était entrée en vigueur en juillet 1992<br />
qui soumet à diverses prohibitions tout message de la nature vaguement circonscrite cidessus,<br />
«susceptible d’être vu ou perçu par un mineur» – ce qui dans une interprétation un<br />
peu large revient à dire «tout message», point. Soucieuse de lutter contre les «pornocrates»<br />
et le «sexodollar» (un peu d’anti-américanisme ici ne messied pas: en réalité l’industrie<br />
pornographique en France est bien massivement de production hexagonale), la loi Jolibois<br />
déployait une batterie nouvelle de peines: prison, amendes élevées et privation des droits<br />
civiques, tout en permettant aux associations familiales d’ester en justice et ce, non seulement<br />
devant le tribunal du siège (de l’éditeur ou du producteur), mais devant n’importe quelle<br />
juridiction du pays et éventuellement devant plusieurs à la fois. Les possibilités de<br />
harcèlement juridique à partir de qualifications aussi floues et de cette mutation de doctrine<br />
en matière de procédure sont énormes. Le nouvel article L-227-24 du Code pénal qui découle<br />
de la Loi Jolibois, est déjà utilisé par des lobbies catholiques pour attaquer la publicité et<br />
l’information sur les préservatifs. Et cependant ces lois nouvelles ne viennent pas remplacer<br />
mais s’ajoutent aux articles du code hérités de la fin du siècle passé puisque la qualification<br />
d’«outrage aux bonnes mœurs par la voie du livre» a été retenue en juin 1993 contre Les nuits<br />
blanches de Stella (Paris: Media 1000) dont l’éditeur, filiale de Hachette, a été condamné à<br />
l’amende.<br />
Une poignée de députés de droite, comme le ministre de l’intérieur Charles Pasqua,<br />
animateur et promoteur naguère d’une Exposition de l’Horrible destinée à justifier la<br />
répression, Jacques Toubon et Christine Boutin, accumulent du capital politique avec une<br />
démagogie tonitruante en faveur d’une épuration des mœurs qui passe par la répression<br />
légale et la censure.<br />
En France encore, des poursuites récentes ont frappé l’opinion, pourtant vite<br />
oublieuse, parce qu’elles s’en prenaient à des entreprises de bonne ou d’acceptable<br />
réputation: plainte déposée contre les Éditions du Seuil pour la couverture «obscène» du<br />
roman de Jacques Henric, Adoration perpétuelle, qui reproduisait une toile fameuse de<br />
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