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Interventions critiques (Volume I) : Questions d ... - Marc Angenot

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tableaux du collectivisme citent abondamment le Manifeste communiste, ce «bréviaire du<br />

socialisme scientifique» et autres écrits (ceux du moins parus et diffusés avant 1914) de Marx<br />

et d’Engels, mais c’est pour y repiquer d’une part des idéologèmes qui sont attestés chez eux<br />

mais ne leur sont pas spécifiques, idéologèmes dont on retrouverait les équivalents chez<br />

Lassalle, Saint-Simon, Louis Blanc, Rodbertus-Jagetzow etc.; d’autre part et avec<br />

prédilection, les énoncés spéculatifs, conjecturaux, utopiques qui eux aussi sont moins «de<br />

Marx» que le bien indivis du socialisme général, de la mouvance idéologique socialiste au<br />

XIXe siècle. Autrement dit, «Marx» comme expression accomplie d’une «science socialiste»,<br />

n’est vraiment qu’une caution qui sert à mettre en place, selon un certain opportunisme<br />

«réaliste», la synthèse d’une nébuleuse d’idées qui au cours du siècle ont été étiquetées<br />

comme socialistes, et qui sert en outre à légitimer rétroactivement les conjectures, analyses<br />

de conjoncture et tactiques ultérieures des Guesde, Bebel, Kautsky et al. Le «marxisme» que<br />

nous voyons opérer comme dispositif de caution idéologique dans les écrits de doctrine de<br />

1870-1917 aboutit en grande partie à attribuer à Marx «des idées qui couraient les rues avant<br />

12<br />

que Marx eût jamais rien écrit» et des idées qui se sont fait jour après lui ou n’ont été en<br />

tout cas bien circonscrites et identifiées qu’après sa mort, mais que l’on peut avec quelque<br />

vraisemblance «rattacher» à l’un ou l’autre énoncé que l’on isole dans son œuvre. Il est vrai,<br />

en outre, que Marx même n’est pas homogène et que, du point de vue où nous nous plaçons,<br />

son oeuvre forme aussi un dispositif discursif puissant propre à recycler, à synthétiser et à<br />

argumenter en système une sélection d’idées qui appartenaient au socialisme indivis.<br />

Le programme collectiviste de l’Internationale est, dans les faits, un bricolage<br />

syncrétique d’idéologèmes égalitaires, communautaires, étatistes, centralisateurs, anarchistes,<br />

productivistes, humanitaristes, technocratiques (avant la lettre) qui se sont trouvés happés<br />

à un moment donné dans le champ idéologique socialiste et y sont devenus indélogeables. Face<br />

à ce syncrétisme, hétérogène et potentiellement antinomique par nécessité, où sans doute les<br />

textes-clés de Marx jouent un rôle de régulateur (permettant de séparer le sérieux de<br />

l’extravagant, le canonique de l’apocryphe), les idéologues de la Deuxième Internationale ont<br />

opéré en rejetant d’abord certaines idées peu intégrables, en arrondissant les angles d’autres,<br />

en «compatibilisant», en mixant, mais avec pour règle non-formulée de conserver le plus<br />

possible de ce que la tradition offrait de respectable et de légitime tout en intégrant dans une<br />

construction apparemment systémique ce matériau divers, hétérologique. Les tableaux du<br />

12. Georges Sorel, dans Le Mouvement social, I-1906, 270.<br />

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