invasions et transferts biologiques - Centre d'Océanologie de ...
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Seule l'ouverture simultanée <strong>de</strong> tous les filtres (opportunity window), qui peut être exceptionnelle,<br />
perm<strong>et</strong> l'introduction (Carlton, 1996c). Dans le cas <strong>de</strong> l'invasion <strong>de</strong> la mer Noire par<br />
le cténophore Mnemiopsis leidyi, le scénario suivant a été proposé pour expliquer l'ouverture<br />
<strong>de</strong>s filtres dans la région receveuse : la pollution <strong>de</strong> la mer Noire a favorisé le développement<br />
du phytoplancton (unicellulaires photosynthétiques), puis du zooplancton ; or, les téléostéens<br />
zoo-planctonophages, tels que l'anchois, étaient surexploités par la pêche ; il en est résulté<br />
l'explosion <strong>de</strong> la méduse indigène zoo-planctonophage Aurelia aurita à la fin <strong>de</strong>s années<br />
1970s (jusqu'à 1 kgMH/m²) ; c<strong>et</strong>te niche a été occupée par Mnemiopsis leidyi, espèce beaucoup<br />
plus compétitive (voir plus loin), après son arrivée en mer Noire dans les années 1980s<br />
( 93) (Caddy, 1994 ; Gesamp, 1997 ; Shiganova <strong>et</strong> Bulgakova, 2000 ; Dumont, 2002 ; Ki<strong>de</strong>ys,<br />
2002). Mnemiopsis leidyi aurait-il réussi son invasion s'il était arrivé quelques décennies auparavant<br />
? Probablement pas, selon Dumont (2002) ; en eff<strong>et</strong>, les téléostéens prédateurs, dont<br />
<strong>de</strong>s prédateurs <strong>de</strong> méduses <strong>et</strong> <strong>de</strong> cténophores, étaient alors nombreux ; il est possible, sinon<br />
probable, que M. leidyi soit arrivé à plusieurs reprises en mer Noire, mais que les premières<br />
tentatives n'aient pas été couronnées <strong>de</strong> succès.<br />
Au total, il est très difficile, sinon impossible, <strong>de</strong> savoir quel est le pourcentage <strong>de</strong>s diaspores<br />
<strong>et</strong> <strong>de</strong>s individus adultes exotiques qui arrivent dans une nouvelle région, <strong>et</strong> qui réussissent à y<br />
survivre, franchissant avec succès tous les filtres : sans doute une infime minorité. Une introduction<br />
‘réussie’ ne se produit probablement pas dès la première tentative (Simberloff,<br />
1995 ; Bright, 1998). Williamson <strong>et</strong> Brown (1986) <strong>et</strong> Williamson <strong>et</strong> Fitter (1996) estiment<br />
pour leur part que, en moyenne, 10% seulement <strong>de</strong>s espèces ‘importées’, c'est-à-dire dont les<br />
diaspores ou les adultes sont parvenus dans la région cible, établissent une population ‘nonnaturalisée’<br />
; environ 10% <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rnières se naturaliseront effectivement <strong>et</strong> seront donc <strong>de</strong>s<br />
espèces ‘introduites’ ; enfin, environ 10% <strong>de</strong>s espèces introduites auront un caractère invasif<br />
(voir plus loin : conséquences) ; ils nomment c<strong>et</strong>te règle empirique la ‘Tens rule’ 94. C<strong>et</strong>te loi<br />
se vérifie chez les magnoliophytes terrestres introduites en Flori<strong>de</strong>, en Californie <strong>et</strong> au Tennessee<br />
(Lockwood <strong>et</strong> al., 2001). Williamson <strong>et</strong> Fitter (1996) <strong>et</strong> Wonham <strong>et</strong> al. (2000) citent<br />
toutefois quelques exemples qui semblent s'écarter <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te règle, en accentuant les pourcentages<br />
: (i) Sur 75 plantes agricoles importées en Gran<strong>de</strong>-Br<strong>et</strong>agne, 61 sont présentes mais non<br />
naturalisées, <strong>et</strong> 14 sont naturalisées ; il convient toutefois <strong>de</strong> remarquer que ces plantes cultivées<br />
ont été sélectionnées, avant leur importation, pour la faisabilité <strong>de</strong> leur culture, <strong>et</strong> que l'échantillon<br />
n'est donc pas aléatoire. (ii) Sur les 40 espèces <strong>de</strong> téléostéens qui ont été observées<br />
arrivant avec <strong>de</strong>s eaux <strong>de</strong> ballast dans une région où elles n'étaient pas natives, 24 (60%) se<br />
sont naturalisées ; on remarquera toutefois que les observations sous-estiment probablement<br />
le nombre d'espèces qui arrivent. (iii) A Hawaii, 50% <strong>de</strong>s espèces d'oiseaux ‘non-naturalisés’<br />
se sont naturalisées ; la raison en est que les îles océaniques sont particulièrement vulnérables<br />
aux introductions ; par ailleurs, si l'on ne considère que les milieux ‘natifs’ (non modifiés par<br />
l'homme), leur pourcentage tombe entre 11 <strong>et</strong> 17%. (iv) En Irlan<strong>de</strong> <strong>et</strong> à Terre-Neuve, 100%<br />
<strong>de</strong>s mammifères ‘non naturalisés’ se sont naturalisés ; la raison en est que ces îles ont été isolées<br />
du continent avant la fin <strong>de</strong> la <strong>de</strong>rnière glaciation, <strong>de</strong> telle sorte que leur faune <strong>de</strong> mammifères<br />
était exceptionnellement pauvre. (v) De même, au Japon, sur 70 espèces <strong>de</strong> téléos-<br />
93 Un eff<strong>et</strong> casca<strong>de</strong> (top-down) un peu plus complexe a également été proposé : surexploitation <strong>de</strong>s grands prédateurs<br />
augmentation <strong>de</strong>s téléostéens prédateurs <strong>de</strong> téléostéens planctonophages diminution <strong>de</strong>s téléostéens<br />
planctonophages augmentation <strong>de</strong>s méduses <strong>et</strong> cténophores diminution du zooplancton <strong>et</strong> <strong>de</strong>s œufs <br />
augmentation <strong>de</strong>s UPOs (organismes photosynthétiques unicellulaires). En fait, ce scénario top-down s'est superposé<br />
à un scénario bottom-up, en raison <strong>de</strong> l'eutrophisation, entre le début <strong>de</strong>s années 1980s <strong>et</strong> le milieu <strong>de</strong>s<br />
années 1990s ; l'eutrophisation a en eff<strong>et</strong> accru les compartiments <strong>de</strong>s UPOs <strong>et</strong> du bactérioplancton (Öguz,<br />
2007).<br />
94 Williamson <strong>et</strong> Fitter (1996) insistent sur le fait qu'il s'agit d'une moyenne, <strong>et</strong> que <strong>de</strong>s valeurs comprises entre<br />
5 <strong>et</strong> 20 sont proches <strong>de</strong> l'intervalle <strong>de</strong> confiance (risque 0.1) d'une loi binomiale pour un échantillon <strong>de</strong> 100.<br />
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