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heureux qu’ils n’aient pas eu recours à un traiteur avec serveurs en nœud<br />
papillon. Et Muriel était couverte de cadeaux dont chacun aurait fait<br />
<strong>le</strong> bonheur d’une ado<strong>le</strong>scente de son quartier à lui pendant un an, sans<br />
par<strong>le</strong>r du voyage en Europe qu’on allait lui payer pendant <strong>le</strong>s grandes<br />
vacances. Fina<strong>le</strong>ment, c’était avec Grandpa, <strong>le</strong> menuisier, qu’il avait<br />
trouvé à bavarder sympathiquement. Et il en avait profité pour fumer<br />
et boire un bon whisky, ce qu’il évitait de faire à la maison, pour ne pas<br />
donner <strong>le</strong> mauvais exemp<strong>le</strong> à ses enfants. Qu’est-ce que Jacques fabriquait<br />
donc ? Avait-il oublié ses engagements ? Joël dit qu’il était sûr que son<br />
père viendrait, et d’ail<strong>le</strong>urs il avait acheté un cadeau pour Muriel, mais<br />
<strong>le</strong> jeune homme n’avait pas l’air très convaincu.<br />
Fina<strong>le</strong>ment, quand Jacques avait débarqué avec une blonde<br />
spectaculaire, Hubert s’était discrètement retiré dans une zone d’ombre,<br />
pensant que l’atmosphère risquait de s’alourdir. Cependant, ni Sylvie<br />
ni Jill n’avaient manifesté <strong>le</strong> moindre dépit. El<strong>le</strong>s s’étaient montrées<br />
aimab<strong>le</strong>s, sans plus, avec Kathy. El<strong>le</strong>s auraient pu aussi faire <strong>le</strong>s marraines<br />
hyperprotectrices, <strong>le</strong>s sultanes déchues p<strong>le</strong>ines d’attentions pour la<br />
petite nouvel<strong>le</strong> inexpérimentée. Mais non, rien non plus de la sollicitude<br />
exagérée que Jacques avait redoutée. El<strong>le</strong>s se contentèrent — ce qu’il ne<br />
sut que bien plus tard, par Joël — de remarquer que <strong>le</strong>ur ex-époux et<br />
son fils avaient assorti <strong>le</strong>urs compagnes, que <strong>le</strong>s Australiennes au teint<br />
de blé n’avaient donc encore apparemment rien perdu de <strong>le</strong>ur charme<br />
exotique aux yeux des immigrants. “Jacques could live a hundred years,<br />
he will always be a sett<strong>le</strong>r,” dit Jill avec un de ces sourires ambigus dont<br />
el<strong>le</strong> avait <strong>le</strong> secret —Do you blame him for it? —Why? Not at all. We<br />
are the same... in this respect.”<br />
Hubert commença à regretter amèrement <strong>le</strong>s deux heures qu’il<br />
avait passées sur la route à écouter <strong>le</strong> sport — on n’avait même pas donné<br />
<strong>le</strong>s résultats du football scolaire. Visib<strong>le</strong>ment, Jacques n’avait aucun<br />
besoin de lui. Quoique... Il plaisantait avec une facilité qui ressemblait<br />
trop à cel<strong>le</strong> de sa jeunesse, il riait trop fort, il dansait avec une aisance<br />
qui avait l’air imitée. Hubert <strong>le</strong> prit un moment à part, pendant que<br />
Kathy et Muriel, bras dessus bras dessous dans <strong>le</strong> champ lumineux d’un<br />
halogène, concentraient l’attention au lieu de la diviser. « Tu es sûr de ce<br />
que tu fais ? — Moi, sûr de quelque chose ? Ce serait bien la première fois,<br />
tu m’as assez dit que je suis un type compliqué, mais c’est ce qui m’est<br />
arrivé de mieux depuis l’antiquité. Je mets mon masochisme à profit, tu<br />
ne vois pas ? — Appel<strong>le</strong>-moi quand tu veux. — Bien sûr, tu sais, j’ai failli<br />
al<strong>le</strong>r passer <strong>le</strong> week-end chez toi ; hier, samedi, ça n’allait pas du tout,<br />
c’était avant... — Tu seras toujours bien reçu, tu sais ça. — Je viendrai<br />
peut-être avec Kathy un de ces jours, tu veux bien ? — Ça ne m’ennuiera<br />
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