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son entrain, de décision dans sa joie triste. On dit qu’el<strong>le</strong> est devenue<br />
l’impresario d’une boxeuse. Rien à voir avec la voix de, avec aucune<br />
voix, bien qu’il y eût tant de tragique dans sa douceur, tant d’enfance<br />
dans sa maturité. Le mélange bière gin, infect, quand ça commençait à<br />
se réchauffer, en plus, dans un gobe<strong>le</strong>t en plastique mou récupéré dans<br />
la boîte à gants en cherchant <strong>le</strong> couteau suisse avec décapsu<strong>le</strong>ur. Girls.<br />
Moi qui chante si faux, qui p<strong>le</strong>ure si mal à propos. Se garer dans une rue<br />
tranquil<strong>le</strong> où l’on peut présumer que <strong>le</strong>s flics s’abstiennent de patrouil<strong>le</strong>r.<br />
Frissonner. Dormir un moment pelotonné, comme si l’on était parti en<br />
voyage, rejoindre une femme qui a dit oui, viens, ou reviens. “Feels good<br />
to know that you need me, need me, need me.” Et l’on va se reconnaître<br />
avant de fermer <strong>le</strong>s yeux pour un baiser long et profond. Palm Beach<br />
si complètement désert, intolérab<strong>le</strong>. Remettre en route, doucement, <strong>le</strong>s<br />
phares, tout en ordre. Ne pas attirer l’attention et l’alcootest. Ce serait<br />
ma fête.<br />
Maintenant garé à Church Point, près de la jetée du bateau de<br />
Scotland Island. Quelques va-et-vient des hors-bord-taxis, et de barques<br />
motorisées. Des gens qui rentrent chez eux dans l’î<strong>le</strong> après avoir dîné en<br />
vil<strong>le</strong>, d’autres que <strong>le</strong>urs hôtes ramènent sur <strong>le</strong> continent après une soirée<br />
passée dans l’î<strong>le</strong>. La cabine de la voiture était p<strong>le</strong>ine de re<strong>le</strong>nts froids.<br />
Tabac, poussière du chemin, transpirations, ha<strong>le</strong>ines, émanations de<br />
dérivés pétroliers, de caoutchoucs et de vinyls, et maintenant la bière<br />
et <strong>le</strong> gin consommés à l’intérieur. Quand on ne peut plus réviser sa vie,<br />
s’acheter une voiture neuve. Pour qu’el<strong>le</strong> sente bon et que tous <strong>le</strong>s espoirs<br />
soient permis. Quel<strong>le</strong> parodie d’une quarantaine foireuse, enfin, pour<br />
ne pas dire bientôt la cinquantaine. Quel<strong>le</strong> parodie d’apitoiement sur<br />
soi-même. Demain à la première heure, je retéléphone à Kathy Powell,<br />
ou Fairweather. Ne pas se laisser abattre. Ouvrir la fenêtre, respirer. Ça<br />
ne sent qu’à peine la mer ici. Mais <strong>le</strong>s cordages métalliques des voiliers,<br />
<strong>le</strong>s poulies cliquètent dans <strong>le</strong> noir, des ombres se balancent en faisant<br />
clapoter <strong>le</strong>s ref<strong>le</strong>ts convenus de l’éclat lunaire.<br />
Un jeune coup<strong>le</strong> riant et se bousculant, non, deux jeunes coup<strong>le</strong>s,<br />
en tenues sportives, qui montent en barque, <strong>le</strong> moteur ne veut pas<br />
démarrer, ils chahutent la coque de noix : « Stop it, dick head ! You’ll<br />
make me fall. No, stop it! » Un cri, aussi convenu que l’argent lunaire.<br />
La jeune fil<strong>le</strong> tombe à l’eau. Les autres s’y jettent aussi. On entend barboter,<br />
éclabousser. La jeune fil<strong>le</strong> qui crie d’une voix mouillée : « Tony,<br />
bastard, wait till I catch you, you’ve wrecked my watch. » Et Tony :<br />
« Come and catch me. » Tout recommencer, si l’on pouvait, avec cette<br />
insouciance. Je ne suis plus qu’un voyeur des années perdues. Et si je<br />
pouvais recommencer, autrement, <strong>le</strong> voudrais-je ? L’impardonnab<strong>le</strong> n’en<br />
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