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Jacques avait encore fait maint détour avant de regagner son<br />
logis. Il voulait atteindre un degré de fatigue tel que la détresse physique<br />
en vienne à oblitérer <strong>le</strong> désarroi de son récit de vie. Quand il s’y<br />
crut parvenu, il rentra. Les marches de l’escalier conduisant au trottoir<br />
suré<strong>le</strong>vé de Beach Street venaient à sa rencontre, il aurait pu s’y laisser<br />
tomber, mais se pelotonner dans un lit froid et solitaire demeurait moins<br />
scanda<strong>le</strong>ux sans non plus trahir son état d’âme. Le bruit des vagues,<br />
comme si <strong>le</strong> vent se <strong>le</strong>vait, mais on sentait à peine un souff<strong>le</strong>. Avait-il<br />
bien serré <strong>le</strong> frein à main ? Non, tant pis, je ne vais pas redescendre<br />
vérifier ; si la bagno<strong>le</strong> veut rou<strong>le</strong>r toute seu<strong>le</strong> jusqu’à la mer, el<strong>le</strong> a ma<br />
bénédiction. La porte vert foncé de l’appartement 1, noire sous la lumière<br />
jaunasse du palier. L’heure du laitier. Ne pas claquer. La sal<strong>le</strong> de bains à<br />
droite. Quel<strong>le</strong> envie de pisser. Sans chanter. Toujours cette impression,<br />
ou ce mot : « mort », non, plus qu’un mot, une image presque vécue,<br />
prémonitoire filmée, que je vais crever dans des chiottes. Parce qu’on<br />
s’y vide, dans un juste espace, déjà calculé aux dimensions d’un corps<br />
seul, cercueil. On forcera la porte, on dira merde il a clamsé. Pas pour<br />
cette fois-ci. Shit, putain de banquette, je me prends toujours <strong>le</strong>s pieds<br />
dedans. Adieu, sweet Kathy. Le comb<strong>le</strong> de la morbidité, ça serait de<br />
relire <strong>le</strong>s <strong>le</strong>ttres de M. maintenant. Non, j’éteins. Je me range parmi <strong>le</strong>s<br />
témoins muets et saouls, de la fissure dans <strong>le</strong> mur. Je me range autant<br />
qu’on peut se ranger.<br />
<br />
JOËL WAS IN shock after reading Matilda’s yellowed <strong>le</strong>tters<br />
to his father. He felt as if he had committed some sort<br />
of treachery, not to say treason toward his mother and,<br />
perhaps, toward the other two peop<strong>le</strong> involved in that relationship.<br />
Whi<strong>le</strong> he could remember as facts of life, friendly or unfriendly, mildly<br />
exciting or a bit nasty at times, Jill and other women who had shared<br />
his father’s story when he was litt<strong>le</strong>, there was something mysterious,<br />
both fascinating and devilishly attractive about those old <strong>le</strong>tters and<br />
the hand behind them. He was c<strong>le</strong>ver enough to decide that not all the<br />
oddities of his father’s character and behaviour could be explained by<br />
his, after all, brief encounter with that face<strong>le</strong>ss woman —the <strong>le</strong>tters<br />
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