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Olga Boutorina<br />
Avec le début de la crise économique mondiale, les motivations cachées se sont<br />
révélées au grand jour. Les Européens se sont sentis dupés. « Pourquoi les autorités<br />
ne nous ont-elles pas prévenus que l’introduction d’une monnaie unique exigerait<br />
des sacrifices aussi importants ? Eh bien, puisque les dirigeants nous ont menés en<br />
bateau, qu’ils reprennent leur monnaie unique tant vantée et que tout redevienne<br />
comme avant ! » C’est à peu près ainsi, avec une rage impuissante, qu’a réagi le Grec<br />
lambda à l’annonce par le gouvernement de sévères mesures d’austérité. Il est vrai<br />
que les citoyens n’avaient pas été pleinement informés et consultés comme l’auraient<br />
voulu les principes de la démocratie. Mais pour être juste, il faut reconnaître que<br />
tous les grands projets ont été, à divers degrés, imposés à la société. Généralement,<br />
les gouvernants n’ont ni l’énergie ni le temps nécessaires pour obtenir un soutien<br />
unanime. Malheureusement, les idéaux de la démocratie ne correspondent que<br />
rarement à la pratique.<br />
Le second argument – le fait que sans une monnaie unique le marché intérieur de<br />
l’Union européenne n’existerait plus aujourd’hui — aurait pu rendre un fier service<br />
aux organes de l’UE et aux gouvernements nationaux s’il avait été implanté dans<br />
la conscience collective en temps utile. S’ils avaient su que sans l’euro les progrès<br />
accomplis au cours du dernier demi-siècle auraient été réduits à néant, peut-être les<br />
individus qui ont cassé des vitrines et mis le feu à des voitures dans les rues des villes<br />
européennes auraient-ils réfléchi à deux fois avant de se livrer à ces dégradations. Si<br />
cette perception avait été ancrée dans les esprits, les leaders auraient pu s’entendre<br />
plus rapidement sur les actions à entreprendre d’urgence pour sauver l’euro, et<br />
auraient eu moins de difficulté à convaincre les électeurs du bien-fondé de leurs<br />
décisions. Pourquoi cet argument n’est-il toujours pas avancé ? C’est difficile à dire.<br />
Les dirigeants ne croient probablement pas beaucoup à la capacité de la population<br />
à entendre la voix de la raison et à passer de l’émotion à la rationalité – surtout dans<br />
le contexte actuel, où le chômage bat des records, les aides sociales sont réduites, la<br />
déception et l’inquiétude croissent au sein de la société.<br />
Comme il fallait s’y attendre, le sauvetage, l’homogénéisation et l’amélioration<br />
du fonctionnement du marché commun européen ont profité aux acteurs les plus<br />
forts et nui aux plus faibles. Entre 1999 et 2007, les exportations de l’Allemagne<br />
vers les autres pays de l’Union européenne ont augmenté d’une fois et demie par<br />
rapport au PIB national. Grâce à la qualité de ses produits, l’Allemagne a toujours<br />
enregistré, depuis l’entrée en vigueur de la monnaie unique, une inflation inférieure<br />
à la moyenne de la zone euro. Entre 1999 et 2010, les prix ont globalement augmenté<br />
de 19 % en Allemagne et de 25 % en moyenne dans la zone euro. Ce qui signifie<br />
que la compétitivité-prix des exportations allemandes vers les autres États de l’UE<br />
a augmenté. En Grèce, sur cette même période, les prix ont augmenté de 43 % ; en<br />
Espagne, de 36 % ; au Portugal de 31 % ; en Italie, de 28 %.<br />
RUSSIA IN GLOBAL AFFAIRS • VOL. 11 • NUMERO SPECIAL • 2013