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Le mythe de l’islamisation<br />
particulier en provenance des États du Maghreb, est en réalité un investissement<br />
qui trouve un retour bénéficiaire conséquent. En effet, le lien filial maintenu avec<br />
la mère patrie d’origine se traduit en retour par l’envoi massif d’argent au pays. Si<br />
le CFCM (Conseil français du culte musulman), une organisation réunissant les<br />
principales sensibilités musulmanes, a eu tant de mal à naître et a tant de mal a<br />
exister encore aujourd’hui, c’est parce qu’il réunit un peu artificiellement sous la<br />
même bannière des intérêts ethno-culturels distincts.<br />
Or, c’est justement cet islam à papa, comme le nomment péjorativement parfois<br />
les nouvelles générations, pratiqué avec une faible intensité, en général surtout<br />
attaché aux aspects culturels, à la mémoire du bled, qui est en train de disparaître.<br />
Je ne dis pas, bien sûr, qu’il ne persiste pas, mais il est dépassé par de nouvelles<br />
générations de musulmans (pouvant être issues de l’immigration de la génération<br />
précédente) qui sont beaucoup moins attachées à leurs origines ethnoculturelles<br />
qu’à l’islam en tant que tel, en tant que foi et pratique. La crise majeure de légitimité<br />
que traverse aujourd’hui le CFCM est directement tendue par ce conflit entre<br />
une ancienne génération de musulmans vivant l’islam à travers leurs spécificités<br />
ethnoculturelles et une nouvelle génération de pratiquants, souvent plus fervents,<br />
cherchant à assumer visiblement et sans honte leur choix confessionnel musulman<br />
en tant que Français à part entière, et nullement en tant que Français musulmans<br />
d’origine tunisienne ou marocaine.<br />
Nous n’avons jamais été en situation de choc des civilisations, ni jadis lorsque<br />
les islams postcoloniaux fortement déterminés par les différences ethnoculturelles,<br />
sans grande visibilité confessionnelle, dominaient le paysage français, ni aujourd’hui<br />
où nous avons un islam plus unifié de jeunes générations de Français musulmans<br />
qui se veulent entièrement français et entièrement musulmans. Nullement choc de<br />
civilisations, mais en revanche choc de générations.<br />
La nouveauté est ce développement en moins de vingt ans d’un nouvel<br />
enthousiasme spirituel chez les nouvelles générations qui est de moins en moins<br />
ancré dans le complexe postcolonial. Un tel phénomène dépasse très largement la<br />
situation française et relève d’un processus mondial : développement de réseaux<br />
musulmans globaux, certes parfois néo-fondamentalistes mais aussi néo-soufis. On<br />
assiste, en outre, au développement de nouvelles théologies adaptées à la modernité<br />
économique valorisant la prospérité et permettant aux nouvelles classes moyennes<br />
musulmanes de justifier « islamiquement » des comportements productifs, d’où<br />
le succès croissant dans le monde musulman mais aussi en Europe de la finance<br />
islamique. On voit se déployer aussi, en phase avec l’hyper-modernité individualiste<br />
et universaliste, une idéologie musulmane du développement personnel, du<br />
souci de soi d’un côté, et du développement durable, d’un enthousiasme pour<br />
la préservation de l’environnement, de la conscience globale de l’autre. La foire<br />
RUSSIA IN GLOBAL AFFAIRS • VOL. 11 • NUMERO SPECIAL • 2013<br />
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