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Des perspectives incertaines<br />
Dès les premiers frémissements du « printemps arabe », la Russie a affirmé que<br />
le dialogue était le seul moyen acceptable de régler les conflits. Plus que cela :<br />
avant les excès de la guerre civile en Libye, la direction (et a fortiori l’opinion<br />
publique) russe souhaitait éviter tout conflit avec l’Occident sur une question<br />
aussi délicate que la transformation démocratique du Proche-Orient. De même<br />
que la Chine, l’Inde, le Brésil et l’Allemagne, la Russie s’est abstenue lors du<br />
vote de la résolution 1973 du Conseil de sécurité de l’ONU sur l’établissement<br />
d’une « zone d’exclusion aérienne » en Libye. Mais l’Amérique étant sur le<br />
point d’entrer en campagne électorale, Barack Obama avait besoin d’un succès<br />
rapide et indiscutable au Proche-Orient. Quant aux Européens, aspirés dans<br />
cette situation moralement contestable, ils ont vu resurgir leurs vieux réflexes<br />
colonialistes datant de la lutte pour le pétrole de la Cyrénaïque. Résultat : la Libye<br />
a eu droit à une guerre civile de grande ampleur doublée d’une intervention<br />
extérieure, et la Russie a dû fermement mettre les points sur les « i » et faire part<br />
de son refus catégorique de voir un changement de régime se produire suite à<br />
une ingérence étrangère.<br />
Le fait qu’à l’automne 2011 la Russie soit à son tour entrée dans un cycle électoral<br />
a également influé sur son attitude. Les enjeux de sa polémique avec l’Occident et<br />
avec son opposition intérieure ont augmenté. Dans un article programmatique<br />
intitulé « La Russie et un monde qui change », Vladimir Poutine commença par<br />
rappeler que les sympathies des citoyens russes allaient à ceux qui luttaient pour<br />
des réformes démocratiques, avant de critiquer avec virulence le soutien offert par<br />
la coalition occidentale à l’une des parties au conflit libyen. Condamnant le meurtre<br />
« même pas moyenâgeux, quasiment préhistorique, de Kadhafi », il a durement<br />
mis en garde l’Occident contre une « continuation de la déstabilisation du système<br />
de sécurité internationale dans son ensemble » qui, selon lui, ne manquerait pas<br />
de se produire en cas d’ingérence militaire en Syrie sans mandat du Conseil de<br />
sécurité de l’ONU.<br />
Comme on pouvait s’y attendre, cet exposé abrupt de la posture russe, tout à fait<br />
dans l’esprit du « discours de Munich » en 2007, a provoqué des réactions nerveuses<br />
à l’extérieur comme à l’intérieur du pays (de la part des membres d’obédience<br />
libérale de la « classe créative » russe). La Russie de Poutine, déplorait-on, refusait<br />
une fois de plus de prendre place aux côtés de la communauté démocratique. Il était<br />
pourtant évident que la « Russie de Poutine » n’allait pas se ranger à des décisions<br />
prises sans qu’elle ait eu son mot à dire. Bien sûr, il serait partiel, voire hypocrite,<br />
de présenter le rapport de Moscou au « printemps arabe » exclusivement comme<br />
une réaction aux « doubles standards » pratiqués par l’Occident. De même que<br />
l’Occident, la Russie s’est très pragmatiquement adaptée à l’évolution de la situation,<br />
cherchant surtout à ne pas perdre prise alors que les événements s’enchaînaient à<br />
RUSSIA IN GLOBAL AFFAIRS • VOL. 11 • NUMERO SPECIAL • 2013<br />
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