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Anne de Tinguy<br />
P O U R Q U O I TA N T D’ I M A G E S N É G AT I V E S ?<br />
Comment expliquer la persistance et l’ampleur des images négatives ? Les messages<br />
envoyés par les élites politiques auraient-ils pu davantage les atténuer ?<br />
L’immense déception qu’a causé en France ce qui est analysé comme l’échec de<br />
la transition démocratique est probablement à mettre au premier rang des facteurs<br />
explicatifs de la détérioration de l’image de la Russie. L’URSS gorbatchévienne<br />
et la « nouvelle Russie » ont suscité en France comme dans la plupart des États<br />
occidentaux d’immenses espoirs. L’image de la Russie est alors associée à une<br />
profonde volonté de réformes internes et externes. Boris Eltsine a symbolisé<br />
la rupture avec le passé et, à tort ou à raison, il a été perçu comme le garant du<br />
processus de démocratisation. Le partenariat établi avec la Russie s’inscrit dans<br />
le paradigme de la transition vers la démocratie et l’économie de marché. Il est<br />
explicitement basé sur « les valeurs démocratiques partagées » et sur l’idée que<br />
la France et l’UE peuvent aider la Russie à avancer sur la voie des réformes dans<br />
laquelle elle s’est engagée. Les déceptions sont très vite arrivées. Dès mars 1994,<br />
Alain Juppé, ministre des affaires étrangères, constate que « l’immense espoir » qui<br />
a suivi la fin de la Guerre froide a fait place à « une certaine déception » et même<br />
« parfois, (à) une inquiétude ». L’une et l’autre n’ont fait que s’accentuer par la suite.<br />
Tout ce qui ne cadre pas avec le processus de construction d’un État de droit – la<br />
brutalité de la politique russe en Tchétchénie, les dérives autoritaires du pouvoir,<br />
la situation des médias, l’assassinat d’Anna Politkovskaïa en 2006 et de plusieurs<br />
autres journalistes, l’arrestation en 2003 de Mikhaïl Khodorkovski, patron de<br />
Ioukos, considérée par beaucoup comme étant de nature avant tout politique,<br />
etc. - est dès lors immédiatement noté par les médias et autres observateurs. Les<br />
critiques n’émanent pas que de quelques intellectuels : elles reflètent l’état d’une<br />
opinion très sensible aux évolutions de ce pays. Désormais, le ton général des<br />
analyses de la politique russe est au mieux sceptique, souvent négatif. L’image de<br />
la Russie en France est celle décrite en 2009 par le chercheur Arkady Moshes : elle<br />
est, dit-il en parlant de l’image de la Russie en Europe, « désormais totalement<br />
inversée ». Elle était « autrefois associée aux réformes et à l’émergence d’institutions<br />
démocratiques ». Aujourd’hui, elle l’est à la « dé-démocratisation ».<br />
À la déception, s’ajoute l’inquiétude : la politique énergétique de la Russie,<br />
ses positions à l’égard de l’Ukraine et de la Géorgie, puis celles concernant la crise<br />
syrienne génèrent des inquiétudes qui rejaillissent sur les perceptions que les<br />
Français ont de la Russie. Les enquêtes d’opinion réalisées par le Pew Research<br />
Center et par le German Marshall Fund à la fin des années 2000 montrent qu’une<br />
majorité de Français (et d’Européens) sont préoccupés, voire très préoccupés<br />
par la dépendance de leur pays à l’égard de l’énergie russe. Elles révèlent un lien<br />
direct entre ces préoccupations et les opinions négatives sur la Russie. La guerre<br />
RUSSIA IN GLOBAL AFFAIRS • VOL. 11 • NUMERO SPECIAL • 2013