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Iouri Roubinski<br />
Pourtant, la suite des événements montra à des périodes différentes que, pour la<br />
Russie, mais pas seulement pour elle, l’idée de jouer sur les divergences francoallemandes<br />
avait fait long feu. Avec la fin de la Guerre froide, comme après la fin<br />
de la Deuxième Guerre mondiale, c’est la question allemande qui se trouvait en<br />
haut de l’ordre du jour de la politique européenne et mondiale. Ayant échoué à<br />
inscrire l’Allemagne réunifiée au sein d’une « confédération européenne », et ayant<br />
suivi la voie d’une intégration accélérée dans la CEE, Mitterrand ne pouvait pas ne<br />
pas prendre en compte le fait qu’aux yeux de Kohl, l’achèvement du processus de<br />
réunification du pays dépendait, avant tout, de Moscou.<br />
À son tour, la diplomatie russe dut remiser aux archives ses représentations du<br />
passé sur l’antagonisme insurmontable entre la France et l’Allemagne et les chances<br />
d’en jouer. La nouvelle réalité géopolitique dictait à Moscou la nécessité d’établir<br />
des relations équilibrées tant avec la France qu’avec l’Allemagne réunifiée, c’est-àdire<br />
avec les deux États-clés de l’Union européenne qui représentaient la moitié<br />
des échanges commerciaux extérieurs de la Russie, et notamment les exportations<br />
d’énergie qui en constituaient la part la plus significative.<br />
Ceci était d’autant plus évident que l’élargissement de l’Union européenne à l’Est<br />
en faveur des anciens pays du bloc socialiste, désormais orientés vers les États-Unis et<br />
l’OTAN, ne s’est pas fait sans une perte de confiance, voire parfois une inimitié ouverte<br />
envers l’ancien « grand frère ». Le rôle, en quelque sorte, d’amortisseur de ces tendances<br />
négatives échut au duo franco-allemand. Les différences d’approches entre l’Europe<br />
« nouvelle » et « ancienne » se manifestèrent en 2003 quand les pays d’Europe centrale<br />
et orientale soutinrent l’intervention des États-Unis et de la Grande-Bretagne en Irak,<br />
alors qu’elle était condamnée par la France et l’Allemagne. Lors du sommet de l’OTAN<br />
à Bucarest, en avril 2008, l’octroi à l’Ukraine et la Géorgie d’un plan d’action pour<br />
intégrer l’OTAN fut reporté sur l’insistance de la France et de l’Allemagne.<br />
Aucun de ces deux pays n’a, évidemment, l’intention d’être un « cheval de Troie »<br />
de la Russie au sein des structures euro-atlantiques. Paris comme Berlin s’efforcent<br />
seulement d’éviter que l’Europe ne revienne à la division meurtrière de l’époque de la<br />
Guerre Froide. Une des initiatives les plus importantes du couple aura été la création<br />
du « Triangle de Weimar », accord de consultations politiques régulières avec la<br />
Pologne visant à alléger son processus d’adhésion (2004) à l’Union européenne,<br />
qui connut d’ailleurs un prolongement logique avec l’invitation faite à la Russie de<br />
participer à ces consultations au niveau des ministres des affaires étrangères.<br />
Ainsi l’histoire longue et complexe du Traité de l’Élysée, au cours de laquelle le<br />
niveau d’accord entre les partenaires, le contexte et le sens même du texte ont changé<br />
maintes fois, confirme-t-elle la stabilité du couple franco-allemand, qui est un élément<br />
essentiel du système des relations internationales en Europe et dans le monde.<br />
RUSSIA IN GLOBAL AFFAIRS • VOL. 11 • NUMERO SPECIAL • 2013