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Nicolas Tenzer
Si cette stratégie n’est pas étrangère à l’État, elle n’en est pas moins largement
indépendante. Elle va, au sein d’une puissance majeure, dans le sens des intérêts
nationaux de cette puissance, mais elle ne repose pas sur la décision d’un
coordinateur omnipotent et omniscient. Nul big brother ne la coordonne, mais
parce qu’elle est souple et épouse pour ainsi dire les territoires de l’influence, elle
est d’autant plus efficace.
Q U E L L E S VO I E S P O U R U N E P O L I T I Q U E F R A N Ç A I S E
D’ I N F LU E N C E ?
Ces nouvelles réalités de l’influence obligent la France à tenir compte de quatre
règles impératives. La première veut que l’exercice de l’influence dans le monde
sera de plus en plus coûteuse non seulement en termes de ressources financières
directes affectées à ces stratégies, mais aussi en « troupes » alignées et en capacités
intellectuelles. La seconde prescrit que l’influence est aussi liée à l’anticipation et,
concrètement, à la capacité d’une nation à paraître à terme, à tort ou à raison,
toujours forte et puissante, sur les plans à la fois économique, diplomatique et
intellectuel – ce qu’on pourrait appeler la compétitivité globale d’un pays. La
troisième règle exige qu’elle soit capable de mobiliser autour d’une stratégie
d’influence la plus grande multiplicité d’acteurs possibles, non seulement
publics, mais aussi privés et académiques. Enfin, elle veut que le pays dispose à
la fois de réseaux d’information performants et d’une réactivité forte dans son
traitement, ce qui exige à la fois l’organisation de la collecte et de la diffusion de
l’information, soit en même temps sa centralisation et sa dissémination.
Pour la France, cela suppose cinq changements d’importance.
Le premier tient au fait qu’il faut que notre pays dispose, à l’égard des nations
et des zones majeures ainsi que des organisations internationales et dans les
secteurs qu’elle estime prioritaires, d’une stratégie d’intérêt national. Celleci
ne s’improvise pas et doit être construite. Elle ne peut reposer sur les avis
de quelques conseillers, mais suppose l’apport d’un milieu large d’experts. Elle
requiert naturellement une constance dans l’action et une capacité de conduire
cette stratégie sur le long terme, sans que son action soit sujette aux fluctuations
des modes politiques et des ajustements budgétaires. Chaque pays avec lequel
la France dispose d’une relation dont elle estime qu’elle doit être forte doit faire
l’objet d’une stratégie à moyen terme, précise et dotée de moyens adéquats, dans
les domaines diplomatique, économique et intellectuel. Chaque organisation
internationale doit aussi être conçue comme un relais pour ses propres valeurs,
idéaux et intérêts, ce qui suppose aussi d’y repérer les lieux et les positions
stratégiques qui ne sont que rarement les plus en vue. Elle doit devenir une force
de proposition, ce qui suppose non seulement d’émettre des idées de manière
RUSSIA IN GLOBAL AFFAIRS • VOL. 11 • NUMERO SPECIAL • 2013