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À l'épreuve du marché<br />
L’inflation élevée et durable propre aux pays de l’Europe du Sud y a formé<br />
un type particulier d’économie, doté de ses propres règles et mécanismes. Le<br />
passage à une monnaie unique visait, entre autres, à remédier à cette tare et<br />
à instaurer dans tous les États de la zone euro un modèle de développement<br />
durable. Concrètement, il s’agissait du modèle allemand, fondé sur une monnaie<br />
forte capable de préserver le pouvoir d’achat avec des taux d’intérêt durablement<br />
bas et une épargne durablement haute — deux conditions nécessaires pour les<br />
investissements. Avec le passage à l’euro, les pays de la périphérie ont obtenu une<br />
monnaie d’une qualité bien supérieure à leurs anciennes monnaies nationales.<br />
Mais les autres éléments de leur mécanisme économique ne se sont pas<br />
« germanisés » d’eux-mêmes pour autant.<br />
L’inflation était désormais sous contrôle, puisque seule la BCE était autorisée à<br />
émettre de la monnaie. Mais les dépenses superflues n’ont pas disparu. Les biens et<br />
services grecs, portugais ou encore espagnols se renchérissaient progressivement<br />
par rapport aux produits des pays du noyau européen. Auparavant, pour endiguer<br />
une perte de compétitivité, les autorités nationales avaient recours à la dévaluation,<br />
c’est-à-dire qu’elles transféraient les conséquences négatives de leur politique<br />
inefficace sur leurs partenaires de l’UE et sur les pays tiers. Avec l’introduction de<br />
la monnaie unique, ce « bonus à la fraude » a pris fin. L’Allemagne, les Pays-Bas et<br />
quelques autres États dotés d’une monnaie stable ont été débarrassés de cet impôt<br />
extérieur qui réapparaissait à intervalles réguliers. Mais les pays faibles sont restés<br />
seuls face aux résultats de leur politique.<br />
Dans une économie inflationniste, les milieux d’affaires et la population<br />
s’accoutument à voir la valeur de l’argent baisser en permanence. Par conséquent,<br />
conserver son épargne en monnaie nationale n’a pas de sens : il faut le faire en<br />
monnaie étrangère, ou sous la forme de biens matériels. De plus, lorsque la valeur<br />
de l’argent est en baisse, c’est celui qui a souscrit un emprunt le premier qui est<br />
avantagé. Pour dire les choses simplement, une monnaie stable incite à épargner et<br />
à faire des projets à long terme, tandis qu’une monnaie instable incite à emprunter<br />
et à faire des projets à court terme. En passant à l’euro, la Grèce et les autres États<br />
de la périphérie de l’UE ont obtenu une monnaie de qualité, mais ont conservé<br />
leurs anciennes pratiques — d’autant plus qu’ils ont bénéficié d’une manne sans<br />
précédent sous la forme de taux d’intérêt bas. Emprunter est devenu moins cher, et<br />
la quantité d’emprunteurs a explosé. Avant, les banques allemandes n’octroyaient<br />
pas aux Grecs de crédits en drachmes, de crainte de voir la monnaie hellène<br />
perdre de sa valeur. C’est-à-dire qu’un mécanisme de stabilisation automatique de<br />
l’économie se mettait en action : le risque monétaire limitait la hauteur du crédit.<br />
Avec le passage à l’euro, cette limitation a disparu. Les marchés ont commis l’erreur<br />
de confondre le risque monétaire avec le risque-pays, et se sont mis à sous-estimer<br />
RUSSIA IN GLOBAL AFFAIRS • VOL. 11 • NUMERO SPECIAL • 2013<br />
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