Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
192<br />
Raphaël Liogier<br />
du Bourget, qui se déroule chaque année au printemps, réunit près de 300 000<br />
musulmans pendant trois jours et est probablement le plus grand rassemblement<br />
régulier de musulmans en Europe, se présente comme une gigantesque kermesse<br />
où se croisent toutes ces tendances hypermodernes de l’islam, qui peuvent aller<br />
d’un certain rigorisme piétiste à des aspirations spiritualistes quasiment libertaires<br />
proches du mouvement new age.<br />
Cette diversité et cette dynamique, qui ne sont en rien allogènes aux sociétés<br />
européennes mais plutôt conformes à ce que l’on observe dans l’évolution des<br />
différentes tendances du christianisme par exemple, passent inaperçues en raison<br />
de la focalisation quasi-obsessionnelle sur l’islam qui s’est opérée depuis le début<br />
des années 2000. Cette focalisation s’est traduite par la notion, de plus en plus<br />
répandue dans les discours médiatiques et politiques, d’islamisation : l’Europe, et<br />
la France en particulier, seraient en phase d’islamisation. À partir de cette focale<br />
obsessionnelle, les musulmans ne sont plus perçus comme des êtres humains<br />
normaux avec leurs qualités, leurs défauts, leurs problèmes, leurs échecs et leurs<br />
réussites, leurs difficultés d’adaptation, mais comme des corps étrangers, qu’ils<br />
soient ou non citoyens français, et de surcroît comme des ennemis essentiels visant<br />
à anéantir les cultures européennes au nom d’un islam unique et conquérant. La<br />
multiplicité des courants musulmans ne serait qu’une apparence trompeuse.<br />
L E N O M B R E D E M U S U L M A N S V I VA N T E N F R A N C E<br />
Avant de répondre à cette question, peut-être faut-il réfléchir aux raisons pour<br />
lesquelles elle est sans cesse posée. Claude Guéant, ministre de l’intérieur de l’ancien<br />
président de la république Nicolas Sarkozy, affirma avec un naturel déconcertant<br />
en avril 2011 que le seul fait que les musulmans soient « nombreux » constituait<br />
en soi un problème. L’islam est véritablement la cause d’une frénésie comptable<br />
comme aucune autre religion au monde. On compte le nombre de mosquées, le<br />
nombre de minarets et, bien sûr, le nombre de musulmans. Comme si une partie<br />
du « problème musulman » relevait d’une question de nombre.<br />
Au moins depuis les années 1950, il règne, dans une Europe dont la courbe<br />
de natalité s’est écrasée, une suspicion voire une défiance vis à vis des peuples<br />
du Tiers-monde qui « se reproduisent plus vite » et vont finir par déborder vers<br />
« notre » vieux continent opulent. Mais ce n’est qu’au début des années 2000 que<br />
cette défiance démographique se focalise presque entièrement sur l’islam. En<br />
témoigne notamment la vidéo diffusée au Vatican à l’automne 2012 annonçant<br />
l’accroissement (presque exponentiel) du nombre de musulmans, constituant une<br />
armée de plus en plus nombreuse prête à s’emparer de l’Europe.<br />
Je voulais commencer par ces quelques remarques, nullement pour me<br />
dérober à la question, mais justement pour bien faire comprendre qu’elle n’est<br />
RUSSIA IN GLOBAL AFFAIRS • VOL. 11 • NUMERO SPECIAL • 2013