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Des perspectives incertaines<br />
La Russie et l'Europe face au « printemps arabe »<br />
Piotr Stegni<br />
Début janvier 2011, alors que l’étincelle allumée par les événements de Tunisie<br />
commençait à provoquer les premiers incendies en Égypte, au Yémen et à Bahreïn,<br />
un ambassadeur d’un pays européen me prit à part lors d’une réception diplomatique<br />
et me demanda, en triturant un bouton de ma veste : « Pourquoi la Tunisie ? » Son<br />
visage exprimait une perplexité sincère face à la logique perfide d’une Histoire qui<br />
refusait de distinguer les « bons » dictateurs des « mauvais ». À vrai dire, j’ai moimême<br />
du mal à comprendre, aujourd’hui encore, pour quelle raison le tsunami qui<br />
allait rapidement recouvrir une bonne moitié du monde arabe est né précisément<br />
en Tunisie, un pays tout à fait pro-occidental et relativement prospère à en juger<br />
par ses principaux indicateurs.<br />
Ce qui nous conduit à une réflexion à première vue banale mais, en réalité,<br />
fondamentale. Le « printemps arabe », rapidement rebaptisé « automne » puis<br />
« hiver » arabe, est un phénomène imprévisible par nature. Il obéit à ses règles<br />
propres, qui échappent parfois à l’analyse. L’irruption de la démocratie au Proche-<br />
Orient a pris tout le monde par surprise, de la même façon que les fortes chutes<br />
de neiges enregistrées à Jérusalem cette année-là. A priori, chacun savait que cela<br />
pouvait se produire ; mais les personnes et organisations compétentes, y compris<br />
les services météorologiques et diplomatiques, se sont montrées incapables de<br />
prédire que des congères allaient temporairement paralyser toute activité.<br />
En deux ans, le « printemps arabe » a apporté de nombreuses surprises. La<br />
plus importante d’entre elles, mais pas la seule, est l’arrivée en force des islamistes<br />
sur la scène politique. En Égypte, déjouant tous les pronostics, ils ont réussi avec<br />
une facilité déconcertante à écarter du pouvoir les militaires et à faire adopter par<br />
référendum une constitution fondée sur la charia. S’ils remportent les prochaines<br />
élections législatives — ce qui est très probable —, il faudra admettre que les<br />
Piotr Stegni, Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire, membre du Conseil russe<br />
pour les affaires internationales (RSMD).<br />
RUSSIA IN GLOBAL AFFAIRS • VOL. 11 • NUMERO SPECIAL • 2013<br />
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