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Mikhaïl Vinogradov<br />
L’essentiel de la problématique Poutine réside ici : a-t-il un nouveau projet fort et<br />
cohérent qu’il ait l’intention de mettre en œuvre de façon suivie ? Les tentatives<br />
de durcissement du contrôle administratif sur les élites tendent à confirmer<br />
cette supposition, de même que le renforcement des craintes du président<br />
quant à l’aggravation de la conjoncture internationale à l’égard de la Russie et<br />
l’élaboration plus active de constructions idéologiques visant à garantir la loyauté<br />
des citoyens (les notions de « peur des changements », d’« orthodoxie » et de<br />
« patriotisme » se substituant les unes aux autres). Si un tel programme s’est plus<br />
ou moins constitué dans l’esprit de Poutine, l’action du pouvoir peut devenir<br />
plus précise et plus cohérente. Des composantes isolées de ce « programme »<br />
seront encore mises au point, mais toute l’initiative reviendra à Poutine pour<br />
un certain temps et permettra d’interrompre l’« usure morale » du système qui<br />
ne cesse de s’aggraver.<br />
De plus, le jeu mené en politique intérieure – durcissement et volonté de créér<br />
de toutes pièces des situations critiques en espérant du bénéfice à les résoudre –<br />
pourrait être utilisé plus activement dans la politique étrangère. Le manque de<br />
leviers diplomatiques pour influencer les pays du G8 pourrait être compensé par<br />
un regain de pression sur les États de l’espace post-soviétique. Ce qui pourrait<br />
d’ailleurs susciter de la résistance même au-delà des pays traditionnellement<br />
frondeurs tels l’Ukraine, la Biélorussie ou le Turkménistan. Comme le montrent les<br />
interventions récentes, résolument critiques, de Noursoultan Nazarbaïev à propos<br />
des projets de « rétablissement » de l’URSS, la loyauté du Kazakhstan a ses limites.<br />
Or, même dans le cas (pas du tout garanti à l’heure actuelle) de la présence<br />
d’une « grande idée », il y aura à l’ordre du jour plusieurs questions. Parmi elles :<br />
• La viabilité du nouveau projet poutinien, son adéquation aux défis actuels<br />
de l’économie et de la politique sur fond d’expérience étrangère ambiguë visant à<br />
« s’appuyer sur ses propres forces » dans un contexte de mondialisation.<br />
• La correspondance de ce « projet » aux attentes des citoyens victimes d’un<br />
nouvel accès de pessimisme et réfléchissant selon la logique « Nous ne voulons<br />
aucun changement mais nous ne pouvons plus vivre comme ça ».<br />
• La capacité de briser le pessimisme global de l’élite agissante, qui souffre<br />
d’un manque non seulement d’instruments pour améliorer réellement sa<br />
compétitivité, mais aussi d’une minimale en la possibilité essentielle de procéder à<br />
des changements positifs, ne serait-ce que dans certains domaines (mise en place<br />
d’une science moderne, solutions à la dégradation du système de santé publique,<br />
réduction de la corruption, etc.). Sans changement de situation en la matière, le<br />
risque demeurera toujours que l’élite prenne le retour de Poutine à la présidence<br />
non comme une preuve du renforcement du système mais comme la plus grande<br />
erreur personnelle du personnage.<br />
RUSSIA IN GLOBAL AFFAIRS • VOL. 11 • NUMERO SPECIAL • 2013