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Le mythe de l’islamisation
L’Europe, laboratoire de la modernisation de l’islam
Raphaël Liogier
D’ I S L A M E N F R A N C E O U D’ I S L A M D E F R A N C E ?
Contrairement à l’imaginaire persistant d’un corps étranger se développant en
France, une sorte d’excroissance allogène, l’islam est en réalité devenu durant
cette dernière décennie une religion, si l’on peut dire, proprement française. Avant
ces dix dernières années, on pouvait effectivement encore décrire l’islam comme
la religion d’une minorité d’immigrés issus des anciens empires coloniaux, en
particulier en provenance du Maghreb (essentiellement du Maroc, de la Tunisie
et de l’Algérie), dans une moindre mesure de l’Afrique subsaharienne (en
provenance du Sénégal ou du Mali par exemple) et de certaines îles comme les
Comores. Mais même à cette période, nous n’avions pas une disjonction, voire
une confrontation, entre des populations issues d’une autre civilisation et la
société française. Il s’agissait plutôt de populations minoritaires soumises à une
double allégeance, à la société d’accueil, la France, et à des États financeurs dont
ils étaient, par ailleurs, les nationaux. À cette époque, des années 1950 aux années
1990, nous avions essentiellement des islams importés, attachés à des cultures
nationales marocaine, tunisienne, algérienne, malienne, turque, comorienne, etc.
Le culte était immergé dans les cultures locales des pays d’origine et pouvait être
le prétexte, pour ces premières générations d’immigrés, de maintenir vivace le
lien avec leurs origines. Les États arabes, comme l’Algérie soutenant la Grande
Mosquée de Paris par exemple, ont participé à ce jeu du financement religieux
afin de nourrir la fidélité à la mère patrie de leurs ressortissants travaillant sur
le territoire français. Un tel financement des activités religieuses en France, en
Raphaël Liogier, Professeur des universités à l’Institut d’études politiques d’Aix-en-
Provence, directeur de l’Observatoire du religieux. Dernier ouvrage paru : Le mythe de
l’islamisation. Essai sur une obsession collective, Paris, Seuil, 2012.
RUSSIA IN GLOBAL AFFAIRS • VOL. 11 • NUMERO SPECIAL • 2013