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Orphée 2001 - Margelle

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les gens migraient entre de gigantesques discothèques, leur obligation,<br />

qui les recrachaient avec indifférence. Je passai totalement inaperçu.‑Pour<br />

exister, il fallait être un sapeur, exhiber des vêtements que la masse<br />

pouvait reconnaître. Merde ! Je savais que du temps s’était écoulé mais<br />

faudrait‑il chaque fois aller plus loin pour retrouver un peu de virginité ?<br />

C’était certainement la bonne déduction. Sauf que j’avais déjà fait plu‑<br />

sieurs fois le tour du monde…<br />

Ainsi je t’avais perdue, Ibiza la belle ? Je n’en croyais rien. Les îles<br />

sont vastes, la mer les travaille avec la constance d’une éternité. Après<br />

une plage affublée de décors criards viennent immédiatement des rocs<br />

qui éclatent en hiver, des végétations qui gagnent sur la terre, jamais au<br />

même endroit en deux saisons différentes, l’infiniment petit côtoyant l’in‑<br />

finie force des vagues. Et ces falaises qui descendent en pente douce ou<br />

abrupte selon l’humeur de la pierre volcanique. Les îles sont « une terre<br />

hautaine ». Les belles englouties qui relèvent la tête, émergent des flots.<br />

La mer les sculpte sans cesse. Pour connaître une île, il faut marcher dans<br />

ses montagnes, dans les landes sèches, s’identifier à ses poussières ocre et,<br />

de loin, voir la promesse de la mer. Bleu éternel, étendue parfois de métal<br />

en fusion. Connaître son vent aussi. L’esprit souffle dans les cols des îles,<br />

c’est un vent particulier, tourmenteur, sec. Venu d’avant l’homme. C’est<br />

alors le moment de revenir aux flots, de connaître le dur rejet de la mer,<br />

de goûter sa brutalité saline. L’île vous aura, de son altitude au début de<br />

ses abysses, tout entier rejeté. Les îliens sont forcément des gens âpres,<br />

forgés. Les îles sont éternellement différentes.<br />

Délaissant les plages offensées, je passai du temps dans la vieille ville.<br />

Il y avait très longtemps, un inconnu, Le Corbusier, était passé par là et il<br />

avait adoré cet entassement anarchique de cubes blancs. Ibiza la vieille est<br />

une architecture biologique, des volumes poussent les uns sur les autres,<br />

à la demande, offrant à qui sait les voir d’étranges et douces harmonies.<br />

Dans les fins d’après‑midi les remparts sont calmes. J’allais me prome‑<br />

ner là‑haut avec l’esprit d’une sentinelle, d’un guetteur solitaire. J’étais<br />

apparemment sans objet, personne ne me délivra aucun message, l’en‑<br />

fer quand on s’accroche au monde c’est surtout l’oubli. Une pensée de<br />

Christian Bobin me revint à « Ma vie fleurit loin de moi, à l’école buis‑<br />

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