Orphée 2001 - Margelle

J’avais remarqué que la grande avenue et les deux hémicycles, vus du
haut des airs, ressemblaient à s’y méprendre à une gigantesque paire de
tenailles. Allais‑je m’y faire prendre à nouveau ?
Il me fallut un moment pour atteindre le centre de l’esplanade déserte.
Non sans remarquer que, progressivement, il y avait désaturation. De
couleurs. Je retombai dans ce monde de gris que j’avais expérimenté à
Milan avec la diva.
Pierre m’attendait. Je sursautai violemment, il se tenait derrière moi
et… ce n’était plus lui. C’était quelqu’un ou quelque chose qui avait
peut‑être vécu en lui. Une entité maigre, divisée en royaumes de forces
antagonistes. Il ressemblait à une araignée en colère. Ses yeux lançaient
des éclairs, j’observai, tout autour de nous, que la place avait perdu de
sa splendeur. La plupart des statues étaient décapitées, les rayonnements
blancs symétriques du sol s’étaient effacés et le grand dôme lui même
me parut fissuré. On ne voyait plus rien de la ville éternelle, nous étions
au centre d’un désert caillouteux bordé d’une brume vacharde. Un froid
violent m’enveloppa et Sa voix résonna en moi.
‑ Pour Notre malheur, tu es central, je ne pensais pas te revoir.
Je n’étais plus Son très cher fils…
‑ Que s’est‑il passé ? Où est Michel A ?
‑ Il s’en est allé. Et ce monde a été secoué. On me dit que tu l’as mal
raccommodé.
‑ Je ne dispose pas de tels pouvoirs, ni pour détruire ni pour édifier !
‑ Le jour du grand affrontement approche, je devine que tu n’es qu’un
enfant sans éducation dont on se sert.
Il irradiait une colère noire, il ressemblait à une boule dense et brûlante
qui se prépare à tout absorber, lumière, énergie, espace, vies…
Tout en parlant, nous avions gagné la cité elle‑même. Je me retrou‑
vai au cœur du Lieu Saint, où, porteur de mon immonde semence, de
mâle comme de mal, je regravis avec crainte les interminables montées
d’escaliers. Je soufflais plus que lui. C’est là que j’avais admiré avec
dévotion les admirables jambes de Laura, la trouble Mère Supérieure. Je
reparcourus les chutes de marches en clair‑obscur, dans les couloirs où je
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