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Orphée 2001 - Margelle

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proche de la Scala et je me pris à rêver « en attendant Dante » — ça ferait<br />

un joli titre — à la véritable tradition d’opéra qui s’était développée là ;<br />

les gens avaient le droit de siffler, huer ou crier leur joie à la fin des arias<br />

(essayez donc pour voir à Genève ou Lyon, et vous sortirez entre deux<br />

CRS). À ce merveilleux petit vieux qui dirigeait la Vème de Beethoven à<br />

la vitesse d’une opérette et le troisième acte des Meistersinger avec la plus<br />

géniale lenteur. Il traitait le Konzertmeister de testa di rape, ce qui se tra‑<br />

duit pas trop mal par couillon, et non seulement les syndicats ne l’avaient<br />

pas exterminé, mais il avait su en peu de temps conquérir New York, le<br />

Met, et se rallier aux plus grands talents de son époque.<br />

C’est probablement de cette rêverie que date ma première chute tem‑<br />

porelle, du moins je le suppose, car le monde vira en noir et blanc, en<br />

niveaux de gris si vous préférez.<br />

Quelqu’un attira mon attention. C’était une femme d’allure frêle, je la<br />

connaissais. Mais d’où ? Ce visage triangulaire, cette bouche large et cette<br />

forte mâchoire, ces grands yeux d’ombre et de feu, j’avais vu et revu tout<br />

ça. Ça me revint, c’était Médée. Celle qui avait l’incroyable pouvoir de<br />

faire revivre la tragédie grecque, mythes et héros. C’était tout simplement<br />

Maria Kalogeropoulos, plus connue sous le nom de Maria Callas. Une<br />

comparaison stupide me traversa : elle avait cette lèvre supérieure large<br />

et peu ourlée qui caractérise Julia Roberts. Mais on devait être dans les<br />

années soixante ou un peu avant. Toscanini l’avait‑il déjà découverte ?<br />

J’allais vers elle et lui demandai la permission de m’asseoir à sa table. Elle<br />

me l’accorda d’un sourire presque timide. Cette femme avait eu, ou allait<br />

avoir, le monde à ses pieds. Elle me parut fragile et abandonnée. Je ne la<br />

connaissais que par ces quelques films qu’on a tournés sur elle, j’étais<br />

littéralement fasciné. Allais‑je lui prédire tout ce que serait sa vie ?<br />

Elle referma la partition qu’elle étudiait — la Traviata — et m’adressa<br />

un sourire interrogateur.<br />

‑ Je suis navré, Madame, je ne suis qu’un voyageur.<br />

‑ Un peu particulier ! dit‑elle.<br />

Je savais qu’elle s’exprimait parfaitement en français, elle venait de faire<br />

allusion à ma tenue décontractée et au micro ordinateur portable que je<br />

venais de consulter (selon son cadran, on était toujours en 2000). J’hésitais<br />

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