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Orphée 2001 - Margelle

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sonnière. Je m’en sépare en allant dans le monde (1) 6. » C’était bien cela,<br />

je ne retrouverai ma vie qu’en me séparant du monde.<br />

Des signes, parfois, me venaient.<br />

Un matin, un bruit de tonnerre se répercuta au long des murailles, j’étais<br />

assis près du vieil affût d’un canon pointé vers la mer, un centaure parut,<br />

sur sa Guzzi. Dans son dos, la fille cavalière, short gris, débardeur blanc,<br />

tatanes, ses bras noués autour du cuir anonyme, me donna un choc. C’était<br />

la vie, l’Espagne, la Méditerranée. Je vis disparaître ses épaules harmo‑<br />

nieuses, des jambes parfaites, une architecture impitoyable m’inondant<br />

dans l’instant d’un amour dont un inconnu me priva en quelques secondes.<br />

Que lui aurais‑je dit ? Que j’attendais la femme de ma vie ? Que je la<br />

voulais elle aussi ? Nous les hommes, nous ne serons jamais clairs dans<br />

ces situations. Nous sommes construits pour projeter. Et être aspirés. Ce<br />

fut une blessure, une essentielle allée du futur venait de s’ouvrir et je ne<br />

la parcourrais point, l’impossible passait et je n’en ferais jamais partie.<br />

Toute une bibliothèque s’effondra en moi, construite en une seconde,<br />

faite de cette chair parfaite, de cette chevelure au vent mais surtout d’un<br />

sentiment de destin qui, malgré ma quête, ma privation, mon veuvage, me<br />

frappa avec la plus impitoyable cruauté, au sexe, au cœur, à l’âme. Pour<br />

rien, pour tout ce que j’avais entrevu l’espace d’une seconde. La conjonc‑<br />

tion de cette cellule de moine où je vivais et l’impact que je ressentis de<br />

la beauté fatale de cette amazone me boutèrent un désir et une frustration<br />

sexuelle intenses.<br />

Ce fut l’origine d’une énergie qui m’envahit et m’obligea à stopper le<br />

monde.<br />

6 Christian Bobin : Eloge du rien ( Ed. Fata Morgana,1990)<br />

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