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Orphée 2001 - Margelle

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de la mer, ce que chuchote le vent et les couteaux brefs des oiseaux ivres.<br />

Avec le temps, je pus transporter mon tunnel avec moi sans effort. Il me<br />

protégeait et je le rendis opaque à tout bruit comme à toute colère.<br />

Dans les premiers jours de cette descente, j’évitai les autres autant qu’il<br />

me fut possible. J’avais développé une longue oreille de télépathe, mais,<br />

si je m’en servais, la dureté et la folie des gens me faisaient mal. Et même<br />

peur quelquefois. Je parvins finalement, après de longues journées d’ef‑<br />

fort, à rassembler une toute petite sphère interne de cohérence. Et aussi à<br />

me refroidir. Je me pris d’affection pour des choses simples et complexes,<br />

mon ombre sur le sable, un arbre devant un soleil mourant, le mouvement<br />

d’une vague éclatée que je voyais avec la netteté d’un instantané. Je me<br />

suis promené au bord de la Méditerranée, chemise et pantalons de jean,<br />

pieds nus, cheveux au vent et les yeux à demi fermés pour résister à l’éclat<br />

du soleil. Progressivement, j’ai pu constater que les gens ne me voyaient<br />

pas. Ou presque pas. Sans doute n’étais‑je qu’un marginal ou un mendiant<br />

à leurs yeux, mais quand un touriste allemand me heurta en pleine rue et<br />

s’en fut en beuglant, je réalisai que je devenais sinon invisible du moins<br />

improbable. Ma température très basse me permit de résister à un été<br />

torride, je trouvai toujours facilement de l’eau. J’expérimentai diverses<br />

connaissances auxquelles des livres ou des esprits m’avaient préparé.<br />

Celles des unions familières avec le petit et le grand monde. Une fin<br />

d’après‑midi, je m’identifiai à un crabe minuscule que je voyais courir,<br />

provisoirement captif d’une poche d’eau dans les rochers de la côte. Je le<br />

regardai de si près, avec tant d’attention, que ses mouvements prirent un<br />

sens, que je distinguai nettement les encres rouges, vertes et brunes de sa<br />

carapace et que je pus former avec lui une union de respect et de présent<br />

large. Car c’était essentiellement ce présent large que j’étais en passe<br />

d’acquérir, bientôt je pourrais ralentir à l’extrême la course du temps. Le<br />

lendemain, j’expérimentai l’union avec l’eau. C’eût été plus facile dans un<br />

lac ou dans une eau tranquille, car je ne parvenais pas à prévoir les actes<br />

des vagues. Je suis persuadé qu’au regard de Dieu elles ne chantent que les<br />

louanges de l’ordre et de la beauté, mais je n’attrapai de cette cantate que<br />

des bribes de splendeur, suffisantes à m’émerveiller. Mon esprit était déjà<br />

assez calme pour me permettre d’entrer en communication avec cet élé‑<br />

ment et de l’écouter être. Mes bras et mes jambes se soudèrent et je pus me<br />

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