Orphée 2001 - Margelle

Rue Danton.
Paris finale
Comme dans les grandes symphonies romantiques je sentis venir la fin
de cette errance. Ce fut soudain un tempo affetuoso, la conclusion d’un
récit banal mais extraordinaire. Une onde de réconciliation m’enveloppa.
Après tout ce n’était qu’un minuscule épisode de la séculaire guerre des
sexes. Les idées les plus folles me traversèrent à serions‑nous amis ?
Amants ? Ou rien de plus qu’un destin entrevu ? On sortait de Saint André
des Arts, on allait vers la rue Danton. La chose — que de noms ne lui
ais‑je donné dans ce récit ! — relâcha un peu son emprise. Je me fis cette
réflexion, je vais revoir cette merveilleuse librairie, les « Yeux fertiles ».
Je me trompai. Elle avait disparu, comme si elle n’avait jamais existé.
J’y avais rencontré le grand Sadoul, j’y avais acheté des planches origi‑
nales de Druillet. Merde ! Comme les choses s’effacent. Je voyais déjà, en
perspective, les allées que je venais de parcourir. La surprise, le coup de
foudre, l’agacement, la haine, l’émoi, l’animalité, tout ça, tout ça !
Mais je ne savais rien d’elle.
À part cette petite vérité masculine qui s’appelle le « syndrome de la
passante ».
‑ Il reste une petite étape, dit‑elle.
Une petite étape ?
À moi qui venais de traverser le désert, de fouler le Paradis, de grogner
comme une bête d’enfer et — parallèlement — de tomber des ruines de
Saint Pierre jusque dans la guerre du Pacifique, à moi l’éprouvé qu’im‑
portait une petite étape ?
J’aurais marché cent ans avec joie.
Je la suivis.
Sans aucune idée de ce qui m’attendait.