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Orphée 2001 - Margelle

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en parcourait le résumé avec moi. Nos mains se touchant. Des discussions<br />

passionnées sur Dieu et les livres. Le Dieu qui s’écrit et les livres que nous<br />

n’avons pas encore su imaginer. Et par‑dessus tout des gestes sans impor‑<br />

tance, sauf pour nous, des tendresses que j’avais trop souvent gommées<br />

pour privilégier l’action. Je me souvins comment autour d’elle un silence<br />

se faisait, une onde de désir et de respect se levait. Tout ça, je vous le<br />

décris de manière totalement chaotique, mais c’est mon parcours dans la<br />

grande bibliothèque déserte, Tout ça était venu si vite, était tellement pré‑<br />

écrit qu’il m’avait été impossible d’imaginer son absence, elle ne pouvait<br />

qu’être immortelle, ça se lisait. J’allais, solitaire et glacé, passer en revue<br />

les ateliers d’Anthelme où, rarement, elle venait préparer ses défilés. Les<br />

souvenirs, les souvenirs, vous savez, sont une matière effroyablement<br />

volatile. On ne les façonne pas quand et comme l’on aimerait le faire. On<br />

ne les redispose pas à sa guise. J’évoquai son sourire ou le timbre de sa<br />

voix, mais l’association de ses éclats m’échappait et le reste du monde<br />

avec. Des valences et des accords se réalisaient hors de mon contrôle.<br />

Je réalisai à quel point nous ne savons pas retenir les petits moments<br />

heureux. Ce n’était qu’à eux que je m’intéressais, les micromoments de<br />

notre couple, le banal transfigurant. C’est à sa recherche que je compris<br />

pourquoi elle voulait tant être nana. Des bribes d’elle me furent accordées.<br />

Je la vis à mes côtés, promenant sur moi un regard tendrement ironique,<br />

je la touchai, ses cuisses pouvaient être de granit. Nous entrions dans l’un<br />

de nos restaurants préférés et des sourires s’allumaient dans l’ombre des<br />

tables, nous faisions les étages d’une grande surface et soudain elle dispa‑<br />

raissait, ressurgissait avec le naturel d’un caméléon, tout lui était prétexte<br />

à rire. Si elle choisissait un parfum, il éclairait ma journée, on regardait les<br />

boutiques d’animaux au bord de la Seine, elle leur tenait quelquefois des<br />

discours trop chargés de sens, je l’attrapais par le bras et on traversait pour<br />

piocher chez les bouquinistes d’en face. Elle venait à Montaigne en visite,<br />

prenait ce qu’elle voulait, moi compris, mais ne posait jamais la moindre<br />

question. « Vous êtes un menteur Laquedeem, disait‑elle en refermant un<br />

livre de Muriel Cerf, mais un bon juif. J’en tiendrai compte. » Les deux<br />

riaient à perte de souffle. Oriane n’avait jamais de sourire aberrant ni de<br />

comportements erratiques, elle devait être reliée à un principe d’or, une<br />

règle absolue. Pourquoi n’était‑elle jamais ennuyeuse ? Elle savait jouer<br />

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