Orphée 2001 - Margelle

La Musica
Encore le VI e )
S’il est une chose que je connais bien c’est la musique. J’aurais voulu
en faire ma carrière mais j’ai laissé ça à André‑François des Ombres,
mon jumeau. Vous n’avez jamais entendu parler de lui, c’est pour cette
raison qu’il se nomme ainsi. Je crois qu’il travaille aux domaines d’Entre
Deux Terres, un monde pas trop proche du mien. Ça ne nous empêche pas
de nous aimer et de nous consulter régulièrement. Il m’a enseigné et je
comprends la musique, ce qui n’a rien d’extraordinaire en soi, beaucoup
d’hommes et toutes les femmes étant dans ce cas. Disons que j’en sais,
éventuellement, un tout petit peu plus que la moyenne des gens.
Je n’avais pas les moyens de m’étendre sur le sujet ni même sur le cul
que je suivais, j’étais tenu très serré et la passante m’imposait un devoir
de totale dévotion et concentration. Considérez donc ce chapitre comme
une tentative d’évasion provisoire, si je m’interromps brutalement vous
saurez que j’ai été ramené dans le droit chemin ou, plus exactement, dans
le sinueux sillage d’une danseuse paire de pommes.
Une femme, quand elle marche, suppose la musique.
La valse lui convient toujours car elle exprime tout ce qui est rond, cir‑
culaire, fluide.
L’homme est individuel, séparé, angulaire, discontinu et binaire.
La femme ronde, sinueuse, race, continue et ternaire. La syntaxe musi‑
cale est à cet égard assez simple, on est binaire ou ternaire. Hors de cette
distinction on est flou. Strawinsky est entièrement masculin, raide et ins‑
piré, à l’exception de son Apollon musagète qu’infiltre une précieuse pro‑
gestérone musicale. La musique de Pierre Boulez, autre exemple, est floue
avec, quelquefois, des récitatifs très masculins. Celle de son contemporain
Luciano Berio sait être féminine, évidemment c’est un Italien. Le jazz est
un très subtil mariage de masculin et de féminin, de binaire et de ternaire.
Je ne vais pas vous en dire plus — qu’une quinte, par exemple, peut signi‑
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