Orphée 2001 - Margelle

comme lui, attaché à un mât qui avait été un arbre du square. Je contem‑
plais le phare coupole, dans l’attente de la faunesse dansante qui me pré‑
cédait, ignorant les fureurs de l’Océan et qui ne tarderait pas à revenir me
tourmenter. Passerait‑elle la marche arrière ? Cette paire de fesses suivait
un parcours de guêpe révolutionnaire. Ses détours erratiques paraissaient
circonscrits dans le périmètre portuaire Bonaparte à Danton. Je réalisai
soudain que l’équipage de mon navire avait les yeux bandés. Logique, ils
ne devaient pas s’exciter sur ce cul ! Mais qui m’avait lié à cet arbremât ?
Et qui avait mis des œillères à tout ce qui survivait sur ces flots enragés ?
J’avais été, me semblait‑il, le seul dans tout le quartier latin à voir se
balancer cette écriture de Dieu. Une vieille dame se hissa péniblement sur
le bastingage et s’enquit de mon sort. Je l’assurai que j’étais en grande
forme et que ma fiancée m’avait provisoirement ligoté là, pour aller
faire tranquillement les boutiques marines des environs. L’explication
parut la satisfaire mais une vague plus démente que les autres l’emporta.
J’entendais très nettement la forge des souffles des rameurs aux yeux
bandés Les fesses sublimes — et ballottées — apparurent alors dans mon
champ de vision. Mon regard fut à nouveau rivé sur elles. Je compris que
ce square paisible, taillé pour une promenade de rentier, était le théâtre du
supplice d’Ulysse. Et de la sirène.
La voix de la passante me parvint, à travers le vent et les embruns.
‑ Tout ceci n’est que ton sperme en ébullition, dit‑elle. Je t’attends.
Qu’allai‑je faire ? Je n’en avais pas la moindre idée.
Elle rit méchamment.
‑ Passe ton chemin, petit homme. La vraie tempête arrive. Au chapitre
suivant.
Sur quoi elle poussa un cri rouge et reprit sa forme de goéland.