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Orphée 2001 - Margelle

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tionnelle, celle qui passe mais disparaît. François Solesmes lui‑même<br />

parle de passantes considérables, Jean d’Ormesson, tel que je viens de le<br />

citer, a consacré des lignes inspirées à ce théâtre imaginaire des amours<br />

instantanées. Je suis tenté, quand il dit « J’ai beaucoup rêvé à des femmes<br />

qui ne me sont apparues que le temps d’un éclair qui illumine la nuit »,<br />

de changer un mot, qui illumine ma nuit, tant leurs apparitions nous sont<br />

essentielles, sachant à quel point nous ne sommes rien quand elles ne sont<br />

pas là. Ou plus là.<br />

Ça m’était arrivé une foule de fois (je sais que ce n’est pas très élégant,<br />

mais « une foule de fois » c’est expressif, je maintiens). Vers le haut<br />

ou vers le bas, c’était selon. L’inconnue de Top Surface, à Genève (ne<br />

cherchez pas l’endroit réel, je ne ferai aucune pub non rémunérée dans<br />

ce bouquin, mon éditeur sortirait son fusil en grande pompes) en était un<br />

exemple vers la chair. J’avais les bras chargés de livres et autres achats<br />

quand je la vis, près des portes coulissantes de la grande surface, se diri‑<br />

geant vers le parking souterrain. Je la baptisai « jupe grise ». Elle portait<br />

en effet une jupe pied de poule, des bottes noires souples, assez hautes,<br />

d’étonnants collants, entre saumon et fumé, qui brillaient légèrement à<br />

chaque mouvement, lui donnant un aspect de produit défendu, de femme<br />

« sous plastique » à emporter, un chemisier gris foncé, boutonné serré<br />

pour faire valoir des seins libres et très généreux, ainsi que de longs che‑<br />

veux bruns déversés sur ses épaules. Ma mémoire hésite à donner plus de<br />

précisions. Sa bouche était peut‑être molle ou dédaigneuse. Je ne suis sûr<br />

que des bottes, des collants et des jambes qui étaient dedans, des bras et<br />

des épaules, de la chevelure et de l’expression. Je l’avais photographiée<br />

avec assez de définition pour fantasmer sur elle jusqu’à l’andropause. Je<br />

me souviens de son expression avec une fervente clarté, c’était une préda‑<br />

trice traquée. Une prédatrice de mâles, en chasse, arborant une expression<br />

traquée. Pourquoi ? Aucune idée. Une timide peut‑être. Était‑ce parce que<br />

je l’avais intensément dévisagée ? Lui plaisais‑je ? J’eus besoin d’aller<br />

vers elle, de lui exprimer ma fascination tout en restant sur la défensive<br />

à « Vous ressemblez à un destin, mais c’est probablement purement<br />

sexuel. » Je n’en fis rien, je restai paralysé. Dans l’instant, j’imaginais<br />

la quantité de choses que nous allions commettre (elle avait un goût de<br />

péché), des situations tellement vagues et si précises que, pour lui en<br />

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