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Barblan: D’Orient en Occident: histoire de la riziculture et muséologie
et n’avaient plus que leurs petits temples pour honorer la déesse Dewi Sri, désormais en
« chômage technique » si l’on ose l’irréverence. 6
Cette disparition progressive d’un cadre et d’un mode de vie posait du même coup, en
filigrane, à ceux qui pouvaient en prendre conscience, la question de la conservation du
patrimoine et de son interprétation.
Ce qui continue d’être dans la quotidienneté (en tant qu’objet, sous forme de rite, de pratique
culturale) n’a pas besoin de discours, encore moins de sauvegarde ; et il s’avère parfois
impossible de coordonner l’archive et la vie, l’immédiat et le recul, sauf à se situer – ce qui
suppose néanmoins une distanciation – dans la perspective d’un centre d’interprétation
ordonné autour de la vie contemporaine. 7
En fait, le Mandala Mathika Subak de Tabanan(Bali) – qui voudrait peut-être s’affirmer
comme centre d’interprétation – n’est un musée du riz que par une sorte de métonymie.
Le subak, mot sans équivalent réel dans aucune autre langue, désigne un organisme social
unique (attesté dès le XIe siècle) chargé de gérer, outre les affaires communautaires et
rituelles, le système complexe d’irrigation des rizières. 8
Chaque unité est rattachée à un temple spécifique, situé près d’une source vive qui garantit
la protection divine et se traduit matériellement par les divers vecteurs (tunnel, canal, rigole)
qui assurent l’acheminement et la distribution de l’eau de la source à la rizière.
Au sommet du système les lacs volcaniques, sites des sanctuaires les plus vénérés.
L’organisation communautaire supervise aussi la méthode de cultiver (continue ou alternée),
selon les disponibilités en eau.
De plus, malgré la subordination à l’ordre cosmique tripartite inhérent à l’hindouisme – dans
une cohabitation continue entre visible et invisible (sekala et niskala) – malgré l’apparente
prédominance de l’homo hierarchicus dans l’ordonnance sociale, le subak permet de
concilier croyance en l’origine divine du riz (donc la dévotion quotidienne à Dewi Sri), usage
de niveaux de langage distincts et pratique d’une démocratie directe exemplaire.
Tout cela dans un contexte où le temps n’est pas seulement un sujet philosophique mais, en
l’espèce, langage d’initiés hermétique à des néophytes. En effet, déchiffrer le(s) calendrier(s)
balinais relève de l’exégèse. 9
Tel est l’environnement mental et social qui a abouti à de « highly engineered landscapes »
et dont Stephen Lansing a démontré, en les modélisant par ordinateur, que « Balinese rice
growers have been practicing state-of-the-art resource management. Besides placating the
goddess, it turns out, the island’s ancient rituals serve to coordinate the irrigation and
planting schedules of hundreds of scattered villages. (…) the result is one of the most stable
and efficient farming systems on the planet”. 10
6 Voir par exemple « Farming becomes a thing of the past in Bali », Jakarta Post, 23 novembre 1999.
7 Suggérant un certain parallélisme, mais aussi un curieux synchronisme avec le Musée de la Camargue. Ce
dernier ouvrant ses portes en 1978, tandis que le Subak Museum était inauguré en 1981.
8 En 1995, une déclaration officielle en recensait 1'330, régissant une superficie globale d’environ 100'000
hectares.
Je résume ici schématiquement un appareil d’une rare complexité, tout en renvoyant aux importants travaux
de J.Stephen Lansing, en dernier lieu : Perfect Order.Recognizing Complexity in Bali. Princeton University
Press, 2006.
9 Voir Georges Breguet et Jean Couteau, Un autre temps. Les calendriers « tika » de Bali. Paris (Somogy) et
Le Locle, 2002. Livre accompagnant une exposition au Musée d’Horlogerie du Locle (Suisse).
On consultera aussi avec profit d’autres contributions de Jean Couteau sur les permanences et les mutations
récentes de la société balinaise.
10 Voir J.Stephen Lansing and André Singer, The Goddess and the Computer. Doc.coul. 58’ Watertown
(Documentary Educational Resources),1988.
Il est dès lors étonnant que le récent volume dû à R.Boelens,M.Chiba and D.Nakashima (Editors), Water and
Indigenous Peoples.Knowledges of Nature 2. Paris (UNESCO), 2006, n’ait pas accordé au système
hydraulique balinais la place qu’il mérite.
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