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ICOM International Council of Museums - Museo Estancia Jesuitica ...

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Gob: Musées en guerre<br />

auraient donné de l’importance à l’art moderne, auréolé de la palme du martyre. Le<br />

message, ici, est dans la ligne de l’exaltation de la germanité, de la race : cet art est<br />

ridicule, médiocre, indigne de la grandeur allemande. Une partie de ces oeuvres est<br />

mise sur le marché par les autorités allemandes lors d’une vente publique en 1939 à<br />

Lucerne. De nombreux musées européens et américains se portent acquéreurs de<br />

tableaux importants, comme le Musée des Beaux-Arts de Liège, qui achète notamment<br />

un grand tableau de Picasso, un Chagall et un Gauguin. En participant à cette vente et<br />

en achetant des oeuvres, les musées ne se font-ils pas d’une certaine façon,<br />

complices des censeurs nazis ? En tous cas, ils contribuent à enrichir le régime<br />

hitlérien 20 et ils renforcent l’idée, auprès du peuple allemand, que les démocraties sont<br />

des nations dégénérées qu’il faut assainir. Après la guerre, les musées acheteurs<br />

présenteront au contraire cette action comme un premier acte de résistance contre<br />

l’idéologie nazie et anti-sémite. Ce qui est sûr, c’est qu’il s’agit, là encore, de pr<strong>of</strong>iter<br />

des circonstances pour accroître à bon compte les collections.<br />

Le 16 mars 1942, s’ouvre en grande pompe à Bruxelles, au Cinquantenaire, une<br />

exposition dont le titre Deutsche Grösse – la Grandeur allemande – dit bien l’ambition :<br />

glorifier l’Allemagne triomphante, en ce printemps ’42 qui voit les armées du III e Reich<br />

l’emporter sur tous les fronts, de la Russie à l’Afrique du Nord. Et pourtant, le sous-titre<br />

de l’exposition est modeste : « images de l’histoire du Reich » et l’empire hitlérien<br />

n’occupe qu’une place symbolique dans l’exposition, la 15 e et dernière salle.<br />

L’opération de propagande est beaucoup plus subtile. Les Musées royaux d’Art et<br />

d’Histoire, qui occupent le palais du Cinquantenaire, ne semblent avoir été mêlés en<br />

rien à l’organisation de l’exposition 21 . Le choix de ce lieu n’est évidemment pas<br />

anodin : il renforce la crédibilité et la scientificité de l’opération. Cette exposition<br />

itinérante, mise sur pied par les services du Reichsleiter Rosenberg, a d’abord été<br />

présentée à Berlin et dans différentes villes allemandes, puis à Wroclaw et Prague.<br />

Après Bruxelles, elle ira à Strasbourg. Mêlant objets authentiques et fac-similés, textes,<br />

illustrations et reconstitutions fidèles d’éléments architectoniques, elle retrace à grands<br />

traits et illustre l’histoire de l’empire germanique depuis ses origines jusqu’au IIIe<br />

Reich. Séduire et convaincre, voilà les objectifs de cette opération de propagande<br />

subtile : sur un fond général commun de qualité, l’expographie est adaptée, à chaque<br />

étape, à la situation locale de façon à en renforcer l’impact en soulignant comment – et<br />

avec quel bonheur – la Belgique, l’Alsace, la Bohème ont fait partie, dans le passé, de<br />

l’empire germanique. La préface « belge » du catalogue 22 se termine par ces phrases :<br />

« Pendant les grandes époques de leur passé, les Pays-Bas étaient liés avec le Reich<br />

par des relations réciproques, vivantes et fructueuses. Cette exposition témoignera de<br />

la grandeur du Reich et de sa mission européenne. Puisse ce but être atteint aussi<br />

dans ce pays d’une civilisation séculaire. ». Cette exposition « consensuelle » ne parle<br />

pas des questions qui pourraient fâcher : pas un mot sur les Juifs, ni sur le<br />

communisme, ni sur l’Union soviétique. Une scénographie analogique remarquable<br />

renforce l’impact de ce discours, d’autant plus efficace qu’il joue sur un registre<br />

scientifique affirmé 23 . Cette exposition d’histoire illustre de façon significative le double<br />

jeu du musée dans l’histoire : Deutsche Grösse raconte – à sa façon – l’histoire de<br />

l’empire et elle est, par ce moyen même, destinée à agir sur ce dernier et sur son<br />

19<br />

Certaines seront détruites, cependant : plus d’un milliers en Allemagne en 1939 et plus de 500 à Paris<br />

en 1943.<br />

20<br />

Ce n’est pas négligeable : ces ventes de biens juifs procurent les devises indispensables à<br />

l’approvisionnement du Reich en matières premières.<br />

21<br />

En tous cas les rapports annuels, publiés dans le Bulletin des musées, n’en font pas mention, alors<br />

qu’ils signalent systématiquement toutes les expositions du musée.<br />

22<br />

La grandeur allemande. Images de l’histoire du Reich, catalogue de l’exposition 16 III – 30 IV 1942,<br />

Bruxelles, 1942.<br />

23<br />

Voir mon article sous presse : André Gob, « Deutsche Grösse. Une exposition à la gloire de l’empire<br />

allemand, en 1942, à Bruxelles » dans Jean-Pierre Legendre (éd.) Actes du colloque de Lyon,, Paris<br />

2006 avec de nombreuses photos.<br />

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