Des principes de l'économie politique et de l'impôt - Unilibrary
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David Ricardo (1817), <strong>Des</strong> <strong>principes</strong> <strong>de</strong> l’économie <strong>politique</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’impôt (trad. française, 1847) 121<br />
imposées aux esprits, s’imposent <strong>de</strong> nos jours aux faits. Qu’est-ce, en eff<strong>et</strong>, que le morcellement <strong>de</strong> la propriété,<br />
la diffusion <strong>de</strong>s capitaux, la multiplication <strong>de</strong> ces caisses prévoyantes où l’épargne, comme une urne<br />
intarissable, verse les millions dus aux sueurs <strong>de</strong> I’ouvrier, <strong>et</strong>, trop souvent aussi, aux fourberies <strong>de</strong> nos<br />
laquais, - scapins éhontés qui déshonorent l’économie, achètent <strong>de</strong>s chemins <strong>de</strong> fer <strong>et</strong> commanditent jusqu’à<br />
<strong>de</strong>s dynasties espagnoles ou portugaises avec <strong>de</strong>s sous pour livre, <strong>de</strong>s gratifications <strong>et</strong> <strong>de</strong>s bouts <strong>de</strong> bougie ?<br />
Qu’est-ce que l’abaissement <strong>de</strong> l’intérêt, <strong>et</strong> l’accroissement du salaire, si ce n’est un progrès évi<strong>de</strong>nt vers le<br />
bien-être <strong>de</strong> la masse ? Et que sont, d’un autre côté, ces réformes incessantes dans la répartition <strong>de</strong>s impôts ;<br />
ces lois qui dégrèvent les matières premières, ce pain <strong>de</strong> l’industrie ; les subsistances, ce pain <strong>de</strong>s générations<br />
; les l<strong>et</strong>tres, les écrits, ce pain <strong>de</strong> l’intelligence <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’âme ? Que sont ces décr<strong>et</strong>s à l’allure passablement<br />
révolutionnaire qui, déplaçant les sources <strong>de</strong> l’impôt, ten<strong>de</strong>nt graduellement à l’asseoir, comme en<br />
Angl<strong>et</strong>erre, sur <strong>de</strong>s revenus fixes, <strong>de</strong>s propriétés mollement étalées au soleil, - income-tax, property-tax,- <strong>et</strong><br />
non sur les bases mouvantes <strong>et</strong> capricieuses du salaire ? Que sont, dis-je, toutes ces choses, si ce n’est l’allégement<br />
progressif du travail ?<br />
La première condition d’existence pour une société, c’est une légion innombrable d’ouvriers, toujours<br />
prêts à creuser le sol, a battre le fer ; <strong>et</strong> on s’est aperçu, après tant <strong>de</strong> siècles d’ignorance <strong>et</strong> d’iniquité, qu’il<br />
était absur<strong>de</strong> <strong>de</strong> décimer ou d’affaiblir ces bataillons, vraiment sacrés, en leur enlevant par mille taxes<br />
oppressives le sang <strong>de</strong> leurs veines, la moelle <strong>de</strong> leurs os. Le prolétaire a besoin <strong>de</strong> tout son salaire pour<br />
r<strong>et</strong>rouver l’immense énergie qu’il déploie chaque jour dans la production : c’est le géant sur lequel repose le<br />
mon<strong>de</strong> social ; <strong>et</strong> Atlas lui-même, qui étayait <strong>de</strong> ses vastes épaules l’univers ancien, eût succombé sous la<br />
tâche, s’il lui avait fallu payer la taxe sur le pain, sur le sel, sur la vian<strong>de</strong>. Il est impossible <strong>de</strong> remuer c<strong>et</strong>te<br />
noble science <strong>de</strong> l’Économie <strong>politique</strong> que nous définissons, pour notre part : LA SCIENCE DU TBAVAIL<br />
ET DE SA RÉMUNÉRATION, sans se sentir entraîné par une immense sympathie pour tout ce qui pense,<br />
agit, crée ici-bas, sans chercher à traduire c<strong>et</strong>te sympathie en formules protectrices <strong>et</strong> fortes ; <strong>et</strong> l’on ne doit<br />
pas s’étonner si J.-B. Say eut l’insigne honneur d’accumuler sur sa tête toutes les haines <strong>de</strong> la bureaucratie,<br />
par l’impitoyable rigueur avec laquelle il disséqua les budg<strong>et</strong>s d’alors, <strong>et</strong> si les plaidoyers les plus énergiques<br />
contre les maltôtiers mo<strong>de</strong>rnes sont partis <strong>de</strong>s rangs <strong>de</strong>s économistes. C‘est qu’en eff<strong>et</strong> ils sont les défenseurs<br />
nés <strong>de</strong>s classes laborieuses <strong>et</strong> qu’ils ont, plus encore que les réformateurs <strong>politique</strong>s, ôté la couronne<br />
aux hommes <strong>de</strong> la féodalité pour la donner aux hommes <strong>de</strong> la paix <strong>et</strong> <strong>de</strong> la production : c’est que Ad. Smith,<br />
Turgot, Sismondi, en quelques lignes, ont donné la force d’axiomes à ces notions d‘égalité qui n’existaient<br />
dans les âmes qu’à l’état <strong>de</strong> sentiment. Pour eux, en eff<strong>et</strong>, la classe taillable <strong>et</strong> corvéable est, avant tout,<br />
surtout, la classe oisive, rentée, aristocratique, <strong>et</strong> ils se sont parfaitement entendus dans l’émission <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te<br />
vérité bien simple : - le seigneur, le financier, le bourgeois, gentilhomme ou non, participant plus largement<br />
que l’ouvrier aux joies <strong>et</strong> aux splen<strong>de</strong>urs <strong>de</strong> la civilisation, doivent participer plus largement aussi à ses<br />
dépenses.<br />
Il en est <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te répartition <strong>de</strong>s charges publiques comme <strong>de</strong>s taxes que les directeurs <strong>de</strong> concerts prélèvent<br />
sur la curiosité <strong>et</strong> le dil<strong>et</strong>tantisme. Le même spectacle est ouvert à tous : le même lustre verse sur la<br />
scène ses gerbes <strong>de</strong> lumière ; les mêmes vers, les mêmes harmonies font courir sur tous les fronts le souffle<br />
divin du génie ; les mêmes décors, le même fard, les mêmes pirou<strong>et</strong>tes, suivies <strong>de</strong>s mêmes coups <strong>de</strong> poignard,<br />
s’adressent à tous les spectateurs , <strong>et</strong> cependant lisez le tarif, que <strong>de</strong> nuances <strong>de</strong> prix correspondant à<br />
combien <strong>de</strong> places différentes ! Les charges qui pèsent sur chacun sont mathématiquement proportionnées à<br />
la dose d‘aisance, <strong>de</strong> commodité dont il jouit, <strong>et</strong> si nous avions à proposer aux législateurs un modèle pour la<br />
péréquation <strong>de</strong> l’impôt, nous n’en voudrions pas d’autre que c<strong>et</strong>te échelle si habilement graduée par les<br />
impresarios. La civilisation n’est-elle pas, en eff<strong>et</strong>, une fête immense <strong>et</strong> perpétuelle que le genre humain se<br />
donne à lui-même, <strong>et</strong> ceux-là qui assistent à c<strong>et</strong>te fête du haut <strong>de</strong> leurs amphithéâtres somptueusement<br />
décorés, n’en doivent-ils pas défrayer les dépenses plus largement que la foule qui gron<strong>de</strong> dans l’arène<br />
poudreuse du parterre, ou qui s’agite, comme l’Irlandais <strong>de</strong> nos jours <strong>et</strong> l’Ilote <strong>de</strong> l’antiquité, sans même<br />
entrevoir les splen<strong>de</strong>urs <strong>de</strong> ce jubilé ? C’est ainsi que l’on est amené forcément à placer au-<strong>de</strong>ssus du<br />
principe qui veut qu’on frappe chaque citoyen dans la mesure <strong>de</strong> ses ressources, un autre principe plus grand<br />
encore, qui porte en lui la solution à la fois mathématique <strong>et</strong> paternelle du vaste problème <strong>de</strong> l’impôt <strong>et</strong> qui<br />
n’est que la loi <strong>de</strong> la solidarité sociale mise en chiffres. Ce principe entrevu par Montesquieu, confirmé par J<br />
-B. Say, <strong>et</strong> formulé dans la théorie <strong>de</strong> l’impôt proportionnel, veut ceci : La taxe qui atteint c<strong>et</strong>te portion <strong>de</strong> la<br />
richesse du pays qui sert à la satisfaction <strong>de</strong>s premiers besoins, doit être infiniment moins lour<strong>de</strong> que celle<br />
supportée par les consommations <strong>de</strong> luxe. Ainsi, <strong>de</strong>s esprits que l’on a traités <strong>de</strong> rêveurs <strong>et</strong> <strong>de</strong> révo-