La thèse en version intégrale - Fondation FARM
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Madeleine Akrich parle d’un « s<strong>en</strong>s fort » de la médiation technique pour justifier la<br />
considération des objets comme des vrais médiateurs. Elle rappelle tout d’abord que la<br />
notion de médiation technique a un côté banal : « il est banal de considérer que la technique<br />
opère la médiation <strong>en</strong>tre la nature et l’homme. Par cela, on <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d généralem<strong>en</strong>t que la<br />
technique apporte un certain nombre de moy<strong>en</strong>s qui permett<strong>en</strong>t de transformer des<br />
ressources naturelles, données d’emblée, <strong>en</strong> élém<strong>en</strong>ts utiles à l’homme. » (AKRICH 1993,<br />
p.92). Elle met <strong>en</strong>suite <strong>en</strong> lumière un côté moins évid<strong>en</strong>t de la médiation, disant que les<br />
dispositifs techniques et les élém<strong>en</strong>ts naturels se spécifi<strong>en</strong>t de façon conjointe, grâce au<br />
processus de médiation : « loin de pouvoir être décrit par des propriétés intrinsèques des<br />
élém<strong>en</strong>ts naturels, le caractère de ressource doit être appréh<strong>en</strong>dé comme le rapport construit<br />
par la médiation technique <strong>en</strong>tre élém<strong>en</strong>ts naturels et formes d’organisation socioéconomiques.<br />
» (AKRICH 1993, p.92). L’élém<strong>en</strong>t naturel devi<strong>en</strong>drait ressource à travers la<br />
médiation technique, sans laquelle le caractère utile à l’homme ne pourrait pas ressortir des<br />
élém<strong>en</strong>ts naturels. Les objets techniques ne serai<strong>en</strong>t donc pas que des intermédiaires, leur<br />
usage structurait la relation <strong>en</strong>tre l’homme et la nature. Il faudrait donc « redonner aux<br />
dispositifs techniques leur épaisseur, ce qui <strong>en</strong> fait des médiateurs et non de simples<br />
instrum<strong>en</strong>ts » (AKRICH 1993, p.91).<br />
Au s<strong>en</strong>s fort mis <strong>en</strong> lumière par Akrich, la médiation technique se manifesterait pleinem<strong>en</strong>t –<br />
c’est-à-dire, la technique se donnerait à voir <strong>en</strong> tant que médiation – au mom<strong>en</strong>t de la<br />
répartition des compét<strong>en</strong>ces <strong>en</strong>tre les différ<strong>en</strong>tes <strong>en</strong>tités mobilisées dans le processus<br />
d’innovation. Mais, selon Akrich, « si ces partages réussiss<strong>en</strong>t et sont naturalisés, les<br />
dispositifs techniques peuv<strong>en</strong>t n’apparaître que comme de plats intermédiaires <strong>en</strong>tre des<br />
acteurs et de <strong>en</strong>tités diverses » (AKRICH 1993, p.95). <strong>La</strong>tour, de son côté, parle d’une<br />
t<strong>en</strong>dance d’effacem<strong>en</strong>t des objets dans le cours d’action. Il explique ainsi la différ<strong>en</strong>ce de<br />
comportem<strong>en</strong>t des humains et des non-humains dans l’action : dès que les premiers<br />
redevi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t des médiateurs – que l’on leur concède l’att<strong>en</strong>tion pour qu’ils s’exprim<strong>en</strong>t<br />
librem<strong>en</strong>t –, les humains aurai<strong>en</strong>t t<strong>en</strong>dance à être prolixes dans leurs explications et<br />
interprétations, générant un flux de données ininterrompu, tandis que les objets t<strong>en</strong>drai<strong>en</strong>t<br />
au contraire à s’effacer, interrompant ainsi le flux de données – et plus ils serai<strong>en</strong>t importants<br />
dans le cours d’action, plus ils disparaitrai<strong>en</strong>t rapidem<strong>en</strong>t. Ce qui est important dans une<br />
action donnée serait rapidem<strong>en</strong>t approprié par l’humain, et on oublierait la participation de<br />
l’<strong>en</strong>tité non-humaine dans la création de la situation. Selon <strong>La</strong>tour, « cela ne signifie pas qu’ils<br />
[les objets] cess<strong>en</strong>t d’agir, mais que leur mode d’action n’est plus connecté de façon visible<br />
aux li<strong>en</strong>s sociaux habituels puisqu’on a recouru à des forces choisies précisém<strong>en</strong>t parce<br />
qu’elles différai<strong>en</strong>t des forces sociales déjà rassemblées » (LATOUR 2006a, p.114).<br />
Enfin, <strong>La</strong>tour attire l’att<strong>en</strong>tion sur le fait que l’on ne peut pas considérer les objets comme des<br />
acteurs à part <strong>en</strong>tière sans pr<strong>en</strong>dre <strong>en</strong> compte les deux premières sources d’incertitude, sous<br />
la peine, le cas échéant, d’alim<strong>en</strong>ter « un argum<strong>en</strong>t assez sot sur la nécessité causale des<br />
dispositifs matériels, c’est-à-dire (…) un retour au déterminisme technique » (LATOUR 2006a,<br />
p.102). En effet, sans empêcher l’attribution du rôle de vrais acteurs aux objets, l’incertitude<br />
sur la nature des <strong>en</strong>tités – sont-elles des vrais médiateurs ou des simples intermédiaires – et<br />
celle sur l’origine de l’action, toujours sous-déterminée, ne nous permettrai<strong>en</strong>t pas<br />
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