La thèse en version intégrale - Fondation FARM
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l’agriculteur choisit souv<strong>en</strong>t de v<strong>en</strong>dre au commerçant local. <strong>La</strong> raison est simple : il sait<br />
pertinemm<strong>en</strong>t que s’il choisit de faire affaire directem<strong>en</strong>t avec le commerçant de la grande<br />
ville, la prochaine fois qu’il aura peut-être besoin d’un prêt p<strong>en</strong>dant l’époque de soudure, le<br />
commerçant local refusera <strong>en</strong> disant que l’agriculteur ne lui a pas été fidèle lors de la dernière<br />
v<strong>en</strong>te de ses céréales. Et ce n’est pas auprès du grand commerçant de la ville que le petit<br />
agriculteur pourrait avoir du crédit pour nourrir sa famille <strong>en</strong> époque de soudure. Un détail<br />
important de ce cycle d’<strong>en</strong>dettem<strong>en</strong>t et remboursem<strong>en</strong>t est le fait que, normalem<strong>en</strong>t, au<br />
mom<strong>en</strong>t de la soudure, quand l’agriculteur vi<strong>en</strong>t demander un prêt au commerçant local, les<br />
prix des céréales sont au plus haut, et quand il paye sa dette, juste après la récolte, les prix<br />
sont au plus bas. Ainsi se perpétue une dép<strong>en</strong>dance du petit agriculteur vis-à-vis du petit<br />
commerçant local : la valeur produite par le travail de l’agriculteur se transfère<br />
continuellem<strong>en</strong>t au commerçant <strong>en</strong> raison de la synchronisation <strong>en</strong>tre le cycle de valorisation<br />
économique du marché et le cycle de pénurie alim<strong>en</strong>taire dans les foyers agricoles pauvres.<br />
Ce qui a le plus attiré mon att<strong>en</strong>tion à ce propos n’est pas tant l’opportunisme du<br />
commerçant local face aux fragilités structurelles de la petite agriculture, mais c’est plutôt<br />
d’avoir découvert dans le discours des agriculteurs qui j’ai r<strong>en</strong>contrés une acceptation tacite<br />
de ce cycle d’exploitation. En effet, à quelques reprises, j’ai eu des indications de la part de<br />
mes interlocuteurs comme quoi, si jamais la situation se prés<strong>en</strong>tait, ils serai<strong>en</strong>t prêts à<br />
assumer le rôle du commerçant, affirmant la logique d’exploitation <strong>en</strong> question <strong>en</strong> dépit de<br />
tout s<strong>en</strong>s de solidarité avec leurs pairs. Encore une fois, cette constatation n’est pas <strong>en</strong> soit<br />
généralisable, ni même aux agriculteurs de la Boucle du Mouhoun – j’ai r<strong>en</strong>contré d’autres<br />
agriculteurs qui me semblai<strong>en</strong>t beaucoup moins <strong>en</strong>clins à ce type de comportem<strong>en</strong>t. Au<br />
contraire, elle sert comme un indice de plus de la complexité comportem<strong>en</strong>tale des ag<strong>en</strong>ts<br />
ordinaires, et ainsi, constitue un argum<strong>en</strong>t contraire à la procédure même de généralisation.<br />
Face à la constatation du cycle de dép<strong>en</strong>dance <strong>en</strong> question, il me faut ouvrir une par<strong>en</strong><strong>thèse</strong><br />
dans cette sous-section pour relativiser un argum<strong>en</strong>t souv<strong>en</strong>t avancé <strong>en</strong> faveur de l’utilisation<br />
des TIC par les agriculteurs. Comme il a été dit plus haut dans ce chapitre, dans un contexte<br />
de marché libéralisé, il est fondam<strong>en</strong>tal que l’agriculteur connaisse, <strong>en</strong>tre autres, les prix des<br />
produits agricoles dans divers marchés de sa région. Sans ces informations commerciales<br />
l’agriculteur est <strong>en</strong> fort désavantage lors d’une négociation avec les commerçants locaux. <strong>La</strong><br />
possibilité de donner accès aux agriculteurs à ces informations via l’usage des TIC est, <strong>en</strong><br />
effet, un argum<strong>en</strong>t très fort <strong>en</strong> faveur de l’utilité de ces technologies dans de tels contextes.<br />
Pourtant, face au cycle de dép<strong>en</strong>dance que je vi<strong>en</strong>s de décrire, il faut nuancer la corrélation<br />
<strong>en</strong>tre l’accès à l’information et le gain de pouvoir de négociation par les agriculteurs vis-à-vis<br />
des commerçants. Comme il a été dit, même <strong>en</strong> possession des informations pertin<strong>en</strong>tes pour<br />
la négociation commerciale, l’agriculteur attrapé par le cycle de dép<strong>en</strong>dance ne peut pas,<br />
dans la pratique, <strong>en</strong> tirer profit – d’autres aspects l’affaibliss<strong>en</strong>t dans le rapport de forces avec<br />
le commerçant. Souv<strong>en</strong>t, le petit agriculteur n’est pas complètem<strong>en</strong>t libre pour choisir à qui<br />
v<strong>en</strong>dre sa production. Je ne veux pas dire par là qu’un agriculteur bi<strong>en</strong> informé n’est pas <strong>en</strong><br />
meilleure position pour négocier la commercialisation de sa production avec un<br />
intermédiaire, mais plutôt que l’accès à l’information n’est pas suffisant pour assurer l’équité<br />
de la négociation. Il faut pr<strong>en</strong>dre <strong>en</strong> compte la complexité des relations socio-économiques<br />
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