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On est du monde quand même !
La région de Lanaudière est avant tout rurale: c'est sans doute ce trait pittoresque qui
attire touristes et vacanciers-ères. Mais derrière cette image rustique, il y a le chômage
chronique, l'éloignement des gens entre eux et son corollaire l'absence de transport
public difficiles à imaginer pour les urbains, l'analphabétisme, le chalet "hivernisé" ou
encore la vieille maison qu'on a pu acquérir, qui élèvent le coût annuel de chauffage et
dont les conditions sanitaires (manque de toilette, d'eau chaude et aération
inadéquate) semblent avoir une incidence sur l'état de santé 2
.
Pour survivre, on utilise les moyens qu'on a, individuellement. Un de ces moyens
bien connu est la récupération d'à peu près tout; une morale du gaspillage n'est pas à
faire aux personnes qui ont peu. Aussi, les femmes vont "faire des ménages",
préparer et servir des banquets, prolonger la durée d'un vêtement; les hommes feront
la coupe de bois de chauffage, auront quelques mois de travail à la Voirie pour ensuite
revivre le cycle travail - assurance-chômage - aide sociale, décaperont des meubles
pour des gens aisés de Rawdon ou répareront des bicyclettes pour quelques dollars.
Les saisons offrent donc des possibilités fragiles de joindre les deux bouts; il en est
ainsi du ramassage des "cocottes" à l'automne pour permettre le reboisement
ailleurs...
L'analphabétisme ne peut être isolé de la réalité globale de ces personnes qui
méconnaissent le code écrit: il accompagne des revenus plutôt modestes et une
absence de pouvoir sur l'environnement social. Qui plus est, il est vécu comme une
tare que les ruses les plus habiles cherchent à camoufler le plus longtemps possible:
l'expression "J'ai pas mes lunettes..." est éloquente à cet effet. L'humiliation est
appréhendée dans les différentes facettes de la vie, comme le montreront un peu
plus loin dans le texte les verbalisations que j'ai recueillies.
Il s'agit aussi d'un stigmate que la culture dite "savante" accorde à des personnes pour
qui l'oralité est le véhicule de l'information et de la connaissance; et pourtant, la culture
"savante" devrait savoir que l'écriture ne peut pas fonctionner sans l'oralité.