Glossarium mediae et infimae latinitatis Conditum a Carolo du ...

comme la commodite du passage, et 1'endroit oil le trajet
estoit le moins long. Or il est constant, par le rapport des
mariniers, que le trajet de mer a 1'endroit de Wissan en Angleterre
est plus etroit et plus court qu'a 1'endroit de Calais
d'une lieue, ou d'une lieue et demie, et qu'a 1'endroit de
Boulogne de deux grandes lieue's. Le trajet a 1'endroit du
port Itius, suivant le rapport de Cesar, estoit d'environ trente
mille pas : Circiter millium passuum triginta a continenti. Le
geographe arabe' n'y en met que vingt-cinq. Strabon dit
qu'il y avoit trois cens vingt stades, qui font quarante milles.
Mais comme ces distances dependent du lieu ou Cesar
aborda en Angleterre, qu'on tient avoir este a Richborow,
ou a Sand wick, il est malaise de prendre un fondement certain
sur les distances de ce trajet. II n'est pas plus facile de
tirer argument de la situation du promontoire, que Ptolemee
appelle "Ixtov, ou Icium, parce que ce qu'il en ecrit est tresincertain,
quoy que le mettant a 22 degrez 15 minutes de
longitude, et Gesoriacum a 22 degrez 45 minutes, il convient
avec la situation du promontoire et du cap le plus yoisin de
Wissan, qui est la pointe de Blacnez, qui n'est eloignee de
Wissan que d'une demy lieue, et trois de Boulogne: il
avance dans la mer une grande demy lieue, et est la pointe
de terre qui avoisine le plus la Grande-Bretagne.
Le nom de Wissan ne favorise pas moins la conjecture
touchant le port Itius ou Iccius; car les manuscrits de Cesar
represente diversement ce mot, aucuns l'6crivant avec un
simple C, Icius, et les autres avec deux, Iccius, et enfln les
autres avec un T, Itius. La premiere lecon semble estre
appuyee par Ptolemee, qui appelle le promontoire voisin de
ce port, "Ixtov axpov. La seconde peut s'autoriser par le nom
de ce chef remois, ou de Reims, dont parle Cesar 2 , qui le
nomine pareillement Iccius, et par celui de ses peuples 3 de
la Grande Bretagne que les geographes appellent Wiccii.
Enfin la troisieme est embrassee par Strabon 4 , qui nomme
ce port "Irtov. Pour rechercher la veritable etymologie et
1'origine de cette appellation il faut voir quelle elle peut
avoir este dans le langage gaulois, avant que Cesar 1'eust
latinisee. II est probable que Cesar a exprim6 la premiere
syllable de ce mot Wi, par l'I simple, et que ce lieu s'appelloit
Wic ou Wics, ou enfin Wis et Wits, qui estoit une prononciation
familiere et ordinaire a la langue gauloise, et qui
s'est conservee depuis dans 1'alemande et la flamande, qui
en tirent leur origine, Cesar n'ayant pu rendre en latin cette
syllabe Wi, que par 1'i simple, parce que le double W se
prononce plus du gozier que de la langue, et se rend comme
si 1'on disoit ou ; ce que le latin ne peut pas bien exprimer.
Cela pose, vqyons qu'elle peut avoir este la terminaison de
ce mot en idiome gaulois. Si ce lieu a este nomme en cette
langue Wic, Cesar ne 1'auroit pas tourne par Icius ou Iccius,
mais par Icus: comme il a fait au nom de Litavicus, qui est
un autre chef gaulois, dpnt il parle souvent, qui probablement
se nommoit Litawit ou Luitwic, en langue gauloise,
d'ou on ne doute pas que le nom de HLudowic, qui est frequent
dans 1'histoire de la seconde race de nos rois, n'ait
est6 tir6 5 . Car c'est ainsi que Louys le Debonnaire est
nomm6 en ce vers, rapporte par Bus&us 6 :
HLudwic Justus erat, quo rex non justior alter.
Comme aussi dans les monnoyes qui nous restent de lui, ou
son nom est ainsi ecrit HLVDOVVICVS. Heuter interprete ce
mot de Luitwich, qu'il estime estre le meme que HLudwich,
via popularis, Kilian 7 , populi refugium, parce que le terme de
Wic en langage saxon et alleman ancien, signifie tantSt un
boulevard, tant6t une maison, etquelquefoisun golfe, ou un
port 8 . Quant a la prononciation de Wics, je ne me souviens
pas en avoir remarque dans les vieux noms alemans tirez de
nos histoires, mais bien de Wits, Wiss, et Wite, qui, au rapport
de Pontan, en ses Origines francoises*, et de Somner I0 ,
signifient prudent, ou prudence. Mais si le port dont nous
parlons estoit nomm6 parmi les Gaulois Wics, Wits ou Wiss,
Cesar ne 1'a pu exprimer que par Icius, ou Itius, la derniere
lettre de ces mots gaulois, qui est I'S, ne se pouvant rendre
facilement que par cette terminaison. J'avoue qu'il est
malais6 de rencontrer quelque chose de certain dans ces
etymologies ; aussi je ne pretens pas m'arreter a celle que
quelques-uns " donnent a I'ltius portus, qu'ils derivent ab
Itando, parce qu'on s'y embarquoit pour aller en Angleterre,
ni a celle de Heuter l2 , qui veut qu'Icdus soit dit quasi Ic-cie,
hoc est, video, scilicet portum, aut insulam Britanniam : car
1. Alderisius, in Geogr. Nub. — 2. L. 2, c. 3. — 3. Camden. — 4. L. 6. —
5. Cluver. in Germ. 1.1, c. 6; Pont. Heut. de -vet. Belg. p. 225; Jos. Scalig.
ep. 228. — 6. In Not. ad Ep. 1, Hincm. — 7. In etymol. — 8. Somner. — 9. L. 6,
.587. — 10, In Gloss. Sax. — 11. Paul. ^Emil. — 12. C. 10, p. 48.
DISSERTATIONS
tout cela a fort peu de probabilite. II y a neantmoins beaucoup
de rapport entre I'Its ou Itius et Witsan : estant constant
que cette terminaison an est commune a beaucoup de
noms de places et de families du Boulenois. Nous remarquerons
pourtant dans la suite que les auteurs ont tach6 de
lui accommoder des etymologies.
Mais j'estime que le principal fondement sur lequel on
peut etablir le port Itius a Wisan, et qu'il est aise de prouver
par 1'autorite de plusieurs graves auteurs, que ce lieu et le
port de Wissan a este celui ou de tout temps on s'est embarqu6
pour passer des Gaules ou de la France en Angleterre,
et pour abprder d'Angleterre en France. L'entretien que j'eus
sur ce sujet a Paris, dans le cabinet de M. d'Herouval,
auditeur des comptes, qui m'honore de son amitie, avec
M. Sansqn, qu'on s?ait estre tres-savant en ces matieres, et
celui qui a le plus penetre dans la geographic, m'oblige de
lui tenir la parole que je lui avancay pour lors, que je lui
fournirois plus de spixante passages d'auteurs anciens et
irreprochables qui justifieroient cette proposition. Pour
entrer en cette preuve j'observeray 1'ordre des temps et des
siecles ou il en est parle.
Je trouve done que saint Wlgan ', compagnon de saint
Colomban, vers 1'an cinq cens soixante-neuf, passant d'Angleterre
en France, appulit ad portum WITSAN appellatum,
qui videlicet locus ex albentis sabuli interpretatione tale sortitur
vocabulum. Ce sont les termes de 1'auteur qui a ecrit sa vie,
qui sont conformes, quant a 1'etymologie de ce mot, a ce que
Lambert d'Ardres 2 a avance sur le m6me sujet. Britannicum
secus portum, qui ab albedine arenss vulgari nomine appellatur
Vuitsand. Ce nom estant compose de Withe, qui en idiome
anglois et Hainan signifie blanc, et Sand, qui signifie sable.
Et quoy que je ne fasse pas grand fondement sur ces etymologies,
je remarque neantmoins que Philippes le Breton 3 ,
parlant des Bloetins, qui habitoient ces c6tes de la mer, du
c6te de Furnes, a observe effectivement que le sable qui est
sur ces rivages de la mer tire sur le blanc :
Inde movens iterum classis legit aequoris undas
Quod Bloetinorum candentia littora lambit,
Quaque marescosos extendit Flandria campos.
Malbrancq *confirme cecy a 1'egardde Wisan, en ces termes:
« Ipsum montem arenosum, qui mire ab ipso pelagq in
« altum exsurgit, non dixeris arenis, sed e cretaceis molibus
« cpmpactum : tantus enim est candor, tantamque in duri-
« tiem abiit, ut solidiore illicnon opus sit muro. » Et Merula*
dit qu'en ces endroits-la arena est ejus generis, quam urentem
vacant. Palladius 6 , et Vitruve 7 parlent de cette espece de
sable blanc.
Edoiiin ayant est6 envoye en exil par le roy Athelstan, son
frere, en Fan 933, passa de 1'Angleterre en France, et arriva
a Wissan: « Angusto scilicet a Doeria in WITHSAND man'.»
Ce fut vers ce meme temps que cette place, ayant est6
ruinee par les Normans, fut retaplie par le roy Lotiys d'Outremer.
Car c'est de ce port que j'estime qu'il faut entendre
ces termes de Flodoard 9 , en Tan 938 : « Ludovicus rex mari-
« tima loca petens, castrum quoddam, portumque supra
« mare, quern dicunt GUISUM, restaurare nisus est. » Ce
passage ne se pouvant adapter a un autre port: outre que le
nom qu'il lui attribue se rapporte a celui de GUIZANT,
qu'Hariulfe donne a Wisan, et qu'il est constant que nos
Francois prononc.oient le W des Alemans avec le Gu, comme
nous voyons dans les mots de Werre, Wage, et autres que
nous enonc.ons par guerre, gage, etc.
Le roy Ethelred ayant este chasse de son royaume par
Swan, roy danois, s'embarqua en 1'an 1013 a Wisan pour
aller trouver Richard, due de Normandie I0 .
Guillaume de Jumieges " 6crit qu'Alvred, frere de saint
Edoiiard, roy d'Angleterre, retournant de France en Angleterre,
portum WISANTI petiit et hac transfretans Doroberniam
venit.
Guillaume de Poitou l2 , archidiacre de Lizieux, parlant de
ce retour d'Alvred, donne en termes diserts a ce port le nom
A'Icius: Doroberniam venit Alveradus transvectus ex portu
Icio. Ce passage est singulier pour justifier la situation du
port Itius.
Eustache l3 , comte de Boulogne, passa en Angleterre pour
i. Vita S. Wlgani, en 1'Hist. de 1'Abb. de S. Oiien, p. 457 ; Malbr. 1. 2, c. 54. —
2. P. 3. — 3. L. 9, Philipp. p. 206. — 4. Loco cit. — 5. L. 3, p. 469. — 6. L. 1,
c. 10. — 7. L. 2, c. 4. — 8. Monast. Angl. torn. 1, p. 194, 195 ; Will. Malmesh.
1. 2, Hist. Angl. c. 6, p. 53 ; Math. Westmon. A. 934. — 9. Flodoard. in Chr. —
10. Brompton. p. 892. — 11. G. Gemet. 1. 7, c. 9 ; Walsing. p. 434. — 12. In gest.
Guil. Reg. Angl. p. 178. — 13. Will. Malmesb. 1. 2, de Gest. Angl. p. 81.