Glossarium mediae et infimae latinitatis Conditum a Carolo du ...

IJ n'y a rien de plus commun dans les titres et dans les
liommages que ces termes de jurable et rendable, qui nous
decouvrent une esp6ce de fief, ou plut6t une condition
apposee aux infeodations, de laquelle ceux qui ont traite des
fiefs n'ont presque point parle. Dependant c'est une antiquite
dont la connoissance est necessaire pour Fintelligence
des anciennes chartes, et de Fusage qui s'observoit dans la
possession des grands fiefs qui avoient des forteresses; ce
qui me donnera sujet de m'etendre sur cette matiere, et d'en
rechercher curieusement la pratique, par la conference de
divers passages, tant des auteurs que des titres. Je feray
voir ensuite que ces obligations que les vassaux avoient de
les remettre au pouvoir de leurs seigneurs, ce n'est qu'une
dependance du droit de guerre par coutume.
Cette espece de fief est de la qualite de ceux que les feudistes
nomment impropres et irreguliers. Henry de Rosental
dit que les Alemans 1'appellent Ein offen hauss, et le decrit
en ces termes' : « Quando nempe alicui aliquod castrum aut
« arx ea conditione infeodatur, ut Domino semper ad nutum
« pateat, ac illi cum suis liber eo sit accessus, vel ut vas-
« sallusillud Domino tempore belli contra hostes automnes
« accommodare, et interim eo carere teneatur. » La plupart
des titres anciens appellent ordinairement ces fiefs jurables
et rendables. Le codicille de Robert due de Bourgogne, de
1'an 1302 2 : « Lou fie de Montagu jurauble et rendauble. »
Un titre de 1'an 1197 s : « Cepi de Odone, duce Burgundiae,
« in feodum et casamentum Auxonam villam meam cum
« castro, jurabilemetreddibilem sibi et successoribus suis. »
Ces termes, qui se rencontrent souvent ensemble dans les
vieilles chartes, se trouvent quelquefois divisez ; car il y en
a plusieurs ou cette sqrte de fief est appelle simplement fief
jurable, feudum jurabile. Un titre de Pons de Mont-Saint-
Jean, de 1'an 1211 *: « Cum Theobaldus, CampaniaB comes,
« concessisset mihi quod ego faciam apud Rie quamdam
« domumfortemjurabilemipsi, qualemcumquevoluero,etc.»
Un autre, de Robert, comte de Dreux, de 1'an 1206 s :
« Faciam forteritiam quae erit jurabilis. » Un autre, de 1'an
1223 6 : « Ego recognovi coram ipso Theobaldo forteritias
« illas esse jurabiles ipsi comiti ad magnam vim et par-
« vam. » Un titre de Gautier, archevesque de Sens, de Fannee
suivante 7 : « Recognovit coram nobis quod forteritia de
« Noolun jurata est domino regi ad magnam vim et par-
« vam. » Un autre, de P., comte de Vend6me, de 1'an 1242 s :
« Cum inter nos contentio esset — de feodo de Mesuncellis,
« et juratione domus de Mesuncellis, etc. »
Ces fiefs sont nommez en plusieurs autres titres simplement
rendables. Un de 1'an 1340 9 : « Concessit in feudum
« antiquum et reddibile, etc. » Par un autre, de Fan 1250 I0 ,
le seigneur de la Tour reconnut qu'il tenoit de 1'Eglise de
Lyon le chateau de Saint-Andre en Reversmont, semper
reddibile. Un autre, de Eudes, due de Bourgogne, de 1'an
1197" : « Dominus Huo juravit mihi et meis Virgeium red-
« dibile. » La Chronique desevesques de Mets 12 : « Feodum
« de Maurimont cum appendiciis suis reddibile, et Rucke-
« suignes reddibile aquisivit. » Cette condition de ce
genre de fief est appellee redda 13 dans un titre de Bernard,
abbe de Tulles en Limosin, et Redditio, et redditus I4 dans un
autre, de 1'an 1239 : « Quittavit juramentum et redditionem
« montis Sancti-Johannis. »
Le terme de jurable designe le serment particulier et la
promesse que le vassal faisoit a son seigneur de remettre
son chateau entre ses mains et en son pouvoir toutes les
fois qu'il en auroit besoin et qu'il lui en feroit la demande.
1. Tract, de Feud. c. 1, concl. 78. — 2. Aux Pr. de 1'Hist. de Bourg. p. 105, de
Verp, p. 219. — 3. Preuv. de 1'Hist. de Vergy, p. 122. — 4. Aux Pr. de Vergy,
p. 173. — 5. Galland, au Trait6 du Franc Aleu. — 6. Preuv. de Vergy. — 7. 31' Reg.
SUR L'HISTOIRE DE SAINT LOUYS. 109
DISSERTATION XXX.
Ce serment estoit different de 1'hommage, et n'estoit que
pour la forteresse du vassal, et non pour le surplus de son
fief, dont il y a plusieurs formules dans les anciennes
chartes. Un titre de Eudes, due de Bourgogne, de 1'an 1197':
« Pro juramento quod mihi fecit idem Huo super dungione
« Vergeii mihi et successoribus meis reddendo. » Un autre,
de Raymond, vicomte de Turenne, de 1'an 1253 2 : « Ego
« etiam et successores mei tenebimur jurare quod ad
« magnam vim et parvam.... reddemus castrum Turenis. »
L'infeodation du chateau de Gimel a Renauld, vicomte de
Gimel, par Raymond, vicomte de Turenne 3 : « Pro yero isto
« feudo idem Raynaldus fuit homo litges praedicti viceco-
« mitis Raymundi, et firmavit ei ac juravit castrum de
« Gimel cum omni praedicta terra, ut quocumque tempore
« vel quocumque modo, ipse Raymundus, vicecomes Torren-
« nensis, vel ejus successores, jam dicto Raynaldo et ipsius
« successoribus castrum de Gimel sibi reddi petierint, omni
« fraude remota, sine ulla dilatione aut occasione reddatur
« eis. » Un titre de Matfred de Castelnau, de Fan 1221 *:
« Et promisi in virtute praestiti sacramenti, quod praefatum
« castrum omni tempore ei redderem. » II paroit assez de
ces remarques qu'il se faisoit un serment particulier different
de 1'hommage, quoy que souvent Fun et Fautre se fissent
conjointement, et au meme temps, et que les lettres qui
s'expedioient pour les hommages continssent aussi les conditions
de ces sermens, encore bien que Fun differast de
Fautre : car c'est une condition apposee pour la forteresse
qui dependoit du fief, qui pouvoit estre relachee par le
seigneur, sans prejudice a Fhommage qui lui estoit du. Le
titre de Guillaume, seigneur de Mont-Saint-Jehan, de Fan
1239 dont je viens de parler 5 : « Remisit etiam mihi et
« haeredibus meis, et quittavit juramentum et redditionem
« montis Sancti-Johannis, Dominio montis Sancti : Johannis,
« de suo feodo ligio remanente. » Ou le mot de juramentum
est a remarquer, qui montre que le serment estoit distinct
et different de Fhommage : ce qui est encore exprime en un
titre de Robert, evesque de Clermont, qui sera rapporte
cy-apres, ou juramentum et fidelitas. sont distinguez. Ce qui
n'est pas sans fondement : car par le mot de feaute est
entendu Fhommage, qui n'est qu'un acte de respect et de
reverence envers le seigneur que le vassal rend entre ses
mains, sans faire aucun serment, ne faisant qu'une simple
promesse de fidelite. Mais dans le cas de la reddition, en fait
de chateaux, le vassal faisoit serment sur les saints Evangiles,
ou sur les reliques des saints, ou enfin en une autre
maniere, et s'obligeoit aux conditions ordinaires de ces fiefs
envers son seigneur. Aussi les feudistes 6 font distinction
entre Fhommage et le serment de fidelite que les evesques
font au roy, et a ce sujet on rapporte que le pape Adrian
soutint a Fempereur Frederic I que les evesques d'ltalie ne
lui deyoient point hommage, mais seulement le serment de
fidelite. On peut neantmoins justifier que les hommages
se sont faits avec serment, mais non pas toujours. Je
laisse cette matiere pour continuer ce qui est de mon
dessein.
Le terme de rendable regarde le seigneur dominant, a qui
le vassal estoit oblige de. rendre son chateau et sa forteresse
dans les occasions et dans ses besoins, en telle sprte qu'il en
demeuroit le mattre absolu : le vassal meme etant oblige
d'en sortir avec toute sa famille, comme nous remarquerons
dans la suite. J'estime que c'est en cela que ce que les titres
appellent feudum receptabile differe du reddibile, en ce que
par la condition du premier le vassal estoit oblige de recevoir
le seigneur sans qu'il fust tenu d'en sortir ni sa famille.
Je remarque ce terme en un arrest du parlement de Paris,
de Fan 1390, oil le due de Lorraine declare 7 qu'il tient du
1. Preuv. de Vergy, p. 151,193, etc. — 2. Justel, aux Preuv. de 1'Hist. de Turen.
p. 55. — 3. 34. — 4. 92. — 5. Aux Preuv. de 1'Hist. des Dues de Bourg. p. 75. —
6. M. le Maitre, au Traite des Regales, ch. 6,13,14 ; Radevic. 1. 2; Coust. d'Anjou,
art. 137,138. — 7. Aux Preuv. de 1'Hist. de la M. de Chastillon, p. 106,107.