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03 carlos castaneda le voyage a Ixtlan

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appelait un coureur à pied faisant des exercices d’échauffement.<br />

Il m’ordonna de <strong>le</strong> suivre. J’avançais avec maladresse et difficulté. Je m'efforçais de voir où je<br />

posais mes pieds sans toutefois pouvoir juger du relief. Don Juan revint vers moi et trotta à mon<br />

côté. Il. chuchota que je devais m'abandonner au pouvoir de la nuit et faire confiance au tout petit<br />

peu de pouvoir personnel que je possédais; sinon je ne pourrais jamais me déplacer en toute<br />

liberté. La nuit m’embarrassait parce que tout ce que je faisais dépendait uniquement de ma vision<br />

et que j’ignorais l'existence de l'autre façon d'évoluer, en laissant <strong>le</strong> pouvoir me guider.<br />

A plusieurs reprises j'essayai, mais en vain. Je n’arrivais pas à me laisser al<strong>le</strong>r. La peur de<br />

l'accident me figeait. Don Juan m'ordonna de trotter sur place jusqu’à ce que je puisse vraiment<br />

avoir l'impression d'avancer selon la « marche de pouvoir ».<br />

Il annonça qu'il repartait en avant et que je devais attendre son cri de hibou. Il disparut dans<br />

l'obscurité avant que je ne pusse rien dire. Les yeux clos, genoux et haut du corps pliés, je trottai<br />

sur place, pendant peut-être une heure. Graduel<strong>le</strong>ment mon anxiété se dissipa et je me sentis plus<br />

à l’aise. C'est alors que j’entendis <strong>le</strong> cri de don Juan.<br />

Je me précipitai dans la direction du hulu<strong>le</strong>ment et je tentai de « m’abandonner » ainsi qu’il me<br />

l'avait prescrit, mais cinq ou six mètres plus loin je trébuchai contre un buisson et toute ma<br />

confiance disparut.<br />

Il m’attendait et corrigea ma position. Mes doigts devaient rester pliés, <strong>le</strong>s ong<strong>le</strong>s dans la paume<br />

des mains, <strong>le</strong> pouce et l’index allongés. Selon lui je me laissais al<strong>le</strong>r à mon sentiment d'incapacité ;<br />

je savais pourtant qu'il était possib<strong>le</strong> de voir dans la nuit, malgré sa noirceur, en ne concentrant<br />

mon regard sur rien de particulier et en balayant uniquement des yeux <strong>le</strong> sol devant moi. Pour la «<br />

marche de pouvoir »<br />

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il fallait garder <strong>le</strong>s yeux au sol droit devant soi, car un simp<strong>le</strong> coup d’oeil de côté suffisait à modifier<br />

la fluidité du mouvement. Il expliqua que la f<strong>le</strong>xion en avant du tronc était indispensab<strong>le</strong> pour<br />

permettre de baisser <strong>le</strong> regard, et que l'action de <strong>le</strong>ver <strong>le</strong>s genoux jusqu'à la poitrine rendait<br />

possib<strong>le</strong> l'exécution de pas sûrs et courts. Il me prévint que je trébucherais souvent au début, mais<br />

qu’avec la pratique j’arrive-rais à courir aussi faci<strong>le</strong>ment et rapidement que pendant <strong>le</strong> jour. La «<br />

marche de pouvoir » ressemblait A la technique pour trouver un endroit où se reposer, en ce sens<br />

qu'el<strong>le</strong>s exigeaient toutes deux un comp<strong>le</strong>t abandon et une parfaite confiance.<br />

Je m'entraînai à imiter ses mouvements pendant des heures. Il trottait patiemment devant moi,<br />

s'élançait pour une courte course et revenait pour me montrer comment il se déplaçait. Parfois il<br />

me poussait pour que je me décide à courir quelques mètres.<br />

Puis il partit et m’appela par une série de cris de hibou. J'avançai vers lui d'une manière<br />

absolument inexplicab<strong>le</strong>, avec une confiance inattendue. A ma connaissance je n'avais rien fait<br />

pour gagner cette sûreté, mais mon corps devait savoir des choses sans qu’il me fût nécessaire<br />

d’y penser. Aussi, bien que ne pouvant voir <strong>le</strong>s rochers pointus dressés sur mon chemin, mon<br />

corps s’arrangeait toujours pour marcher à <strong>le</strong>ur sommet, jamais dans <strong>le</strong> trou qui <strong>le</strong>s séparait, mis à<br />

part quelques erreurs lorsque je perdais mon équilibre parce que je devenais distrait. Il fallait que<br />

je sois tota<strong>le</strong>ment concentré sur la vision du sol qui défilait devant moi sans jamais, ainsi que<br />

m'avait prévenu don Juan, donner <strong>le</strong> moindre coup d’œil de côté ou trop en avant, ce qui brisait la

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