03 carlos castaneda le voyage a Ixtlan
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puis un énorme bruit de fond, et soudain un tonnerre de trompettes et de guitares.<br />
Passer <strong>le</strong>s disques en faisant <strong>le</strong> plus de bruit, voilà en quoi consistait la fête. Quatre jeunes<br />
Mexicains dansaient avec <strong>le</strong>s deux fil<strong>le</strong>s du tenancier et trois autres Mexicaines. Les Yaquis ne<br />
dansaient pas, mais ils observaient avec un plaisir évident chaque mouvement des danseurs.<br />
Regarder en buvant la tequila bon marché semblait <strong>le</strong>s rendre parfaitement heureux.<br />
Je commandai des boissons pour tous ceux que je connaissais, pour chacun individuel<strong>le</strong>ment,<br />
car je ne voulais offenser personne. Je me glissais parmi <strong>le</strong>s Indiens, échangeais quelques mots,<br />
<strong>le</strong>ur offrais à boire. Cela alla très bien jusqu'au moment où ils se rendirent compte que je ne buvais<br />
rien. Tout à coup mon abstention sembla <strong>le</strong>s rendre maussades. Ce fut comme s’ils avaient<br />
découvert col<strong>le</strong>ctivement que je n’avais rien à faire dans cette fête. Ils devinrent revêches et me<br />
regardèrent furtivement.<br />
Les Mexicains, qui étaient aussi saouls que <strong>le</strong>s Indiens, réalisèrent au même moment que je<br />
n’avais pas encore dansé, et cela sembla <strong>le</strong>s offusquer encore plus que <strong>le</strong> fait que je ne boive pas.<br />
Ils devinrent agressifs. L'un d'eux m’agrippa par <strong>le</strong> bras et me traîna de force près du tourne-<br />
disque. Un autre me servit un verre débordant de tequila et exigea que je <strong>le</strong> boive d'un seul trait<br />
pour montrer que j'étais un macho.<br />
Je m’efforçai de gagner du temps en riant stupidement, comme si je prenais plaisir à <strong>le</strong>ur<br />
traitement. Je déclarai préférer danser avant de boire. Un des jeunes gens lança <strong>le</strong> titre d’une<br />
chanson. La jeune fil<strong>le</strong> qui passait <strong>le</strong>s disques se mit à chercher dans la pi<strong>le</strong> des disques. Bien<br />
qu'aucune femme n'eût bu en public, el<strong>le</strong> me paraissait assez éméchée, et el<strong>le</strong> n’arrivait pas à<br />
placer convenab<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> disque. Un jeune homme <strong>le</strong> lui arracha des mains, regarda l'étiquette et<br />
déclara<br />
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que ça n'était pas un twist. El<strong>le</strong> recommença à fouil<strong>le</strong>r dans la pi<strong>le</strong> des disques à la recherche du<br />
bon et tous l’entourèrent. Cela me donna <strong>le</strong> temps de m’enfuir derrière <strong>le</strong> magasin, en dehors de la<br />
zone éclairée, puis dans la nuit.<br />
Trente mètres plus loin, debout dans <strong>le</strong>s buissons je me demandai que faire. Je me sentais<br />
fatigué, il était temps de reprendre ma voiture laissée chez Blas et de m'en retourner chez moi. Si<br />
je conduisais <strong>le</strong>ntement, personne ne remarquerait mon départ.<br />
Ils devaient toujours chercher <strong>le</strong> disque, car je n’entendais que <strong>le</strong> grésil<strong>le</strong>ment du haut-par<strong>le</strong>ur.<br />
Tout à coup déferla une musique de twist. J’éclatai de rire, en pensant à <strong>le</strong>ur déconvenue lorsqu’ils<br />
se retourneraient pour m’entraîner dans la danse.<br />
De noires silhouettes s’avancèrent vers moi, en route pour la fête. Nous échangeâmes des<br />
buenas noches. Je <strong>le</strong>s reconnus et <strong>le</strong>ur annonçai que la fête allait vraiment bon train.<br />
Peu avant un tournant du chemin je croisai deux autres personnes que je saluai sans toutefois<br />
<strong>le</strong>s reconnaître. La musique du tourne-disque était presque aussi bruyante sur la route que devant<br />
<strong>le</strong> magasin. La nuit était noire et sans étoi<strong>le</strong>s mais la lueur des lampes du magasin me permettait<br />
de voir assez bien <strong>le</strong>s a<strong>le</strong>ntours. Je n’étais pas loin de la maison de Blas, aussi pressai-je <strong>le</strong> pas.<br />
C’est alors que je discernai la masse noire d’une personne assise ou accroupie à ma gauche juste<br />
au tournant du chemin. Je crus qu’il s'agissait de quelqu’un qui avait quitté la fête avant moi.<br />
L'individu semblait se soulager au bord de la route. Cela me parut assez curieux, car dans cette<br />
région <strong>le</strong>s gens vont en général se cacher dans <strong>le</strong>s buissons pour satisfaire <strong>le</strong>urs besoins. Peut-