GERMINAL Emile ZOLA - livrefrance.com
GERMINAL Emile ZOLA - livrefrance.com
GERMINAL Emile ZOLA - livrefrance.com
- No tags were found...
You also want an ePaper? Increase the reach of your titles
YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.
dont celles-ci abusaient, en le priant d'écrire leurs lettres. Il était une sorte d'homme<br />
d'affaires, chargé des correspondances, consulté par les ménages sur les cas délicats.<br />
Aussi, dès le mois de septembre, avait-il créé enfin sa fameuse caisse de prévoyance,<br />
très précaire encore, ne <strong>com</strong>ptant que les habitants du coron; mais il espérait bien<br />
obtenir l'adhésion des charbonniers de toutes les fosses, surtout si la Compagnie,<br />
restée passive, ne le gênait pas davantage. On venait de le nommer secrétaire de<br />
l'association, et il touchait même de petits appointements, pour ses écritures. Cela le<br />
rendait presque riche. Si un mineur marié n'arrive pas à joindre les deux bouts, un<br />
garçon sobre, n'ayant aucune charge, peut réaliser des économies.<br />
Dès lors, il s'opéra chez Etienne une transformation lente. Des instincts de coquetterie<br />
et de bien-être, endormis dans sa pauvreté, se révélèrent, lui firent acheter des<br />
vêtements de drap. Il se paya une paire de bottes fines, et du coup il passa chef, tout<br />
le coron se groupa autour de lui. Ce furent des satisfactions d'amour-propre<br />
délicieuses, il se grisa de ces premières jouissances de la popularité: être à la tête des<br />
autres, <strong>com</strong>mander, lui si jeune et qui la veille encore était un manoeuvre, l'emplissait<br />
d'orgueil, agrandissait son rêve d'une révolution prochaine, où il jouerait un rôle. Son<br />
visage changea, il devint grave, il s'écouta parler; tandis que son ambition naissante<br />
enfiévrait ses théories et le poussait aux idées de bataille.<br />
Cependant, l'automne s'avançait, les froids d'octobre avaient rouillé les petits jardins<br />
du coron. Derrière les lilas maigres, les galibots ne culbutaient plus les herscheuses<br />
sur le carin; et il ne restait que les légumes d'hiver, les choux perlés de gelée blanche,<br />
les poireaux et les salades de conserve. De nouveau, les averses battaient les tuiles<br />
rouges, coulaient dans les tonneaux, sous les gouttières, avec des bruits de torrent.<br />
Dans chaque maison, le feu ne refroidissait pas, chargé de houille, empoisonnant la<br />
salle close. C'était encore une saison de grande misère qui <strong>com</strong>mençait.<br />
En octobre, par une de ces premières nuits glaciales, Etienne, fiévreux d'avoir parlé,<br />
en bas, ne put s'endormir. Il avait regardé Catherine se glisser sous la couverture,<br />
puis souffler la chandelle. Elle paraissait toute secouée, elle aussi, tourmentée d'une<br />
de ces pudeurs qui la faisaient encore se hâter parfois, si maladroitement, qu'elle se<br />
découvrait davantage. Dans l'obscurité, elle restait <strong>com</strong>me morte; mais il entendait<br />
qu'elle ne dormait pas non plus; et, il le sentait, elle songeait à lui, ainsi qu'il songeait<br />
à elle: jamais ce muet échange de leur être ne les avait emplis d'un tel trouble. Des<br />
minutes s'écoulèrent, ni lui ni elle ne remuait, leur souffle s'embarrassait seulement,<br />
malgré leur effort pour le retenir. A deux reprises, il fut sur le point de se lever et de<br />
la prendre. C'était imbécile, d'avoir un si gros désir l'un de l'autre, sans jamais se<br />
contenter. Pourquoi donc bouder ainsi contre leur envie Les enfants dormaient, elle<br />
voulait bien tout de suite, il était certain qu'elle l'attendait en étouffant, qu'elle<br />
refermerait les bras sur lui, muette, les dents serrées. Près d'une heure se passa. Il<br />
n'alla pas la prendre, elle ne se retourna pas, de peur de l'appeler. Plus ils vivaient<br />
côte à côte, et plus une barrière s'élevait, des hontes, des répugnances, des<br />
délicatesses d'amitié, qu'ils n'auraient pu expliquer eux-mêmes.<br />
III, IV<br />
- Ecoute, dit la Maheude à son homme, puisque tu vas à Montsou pour la paie,<br />
rapporte-moi donc une livre de café et un kilo de sucre.<br />
Il recousait un de ses souliers, afin d'épargner le rac<strong>com</strong>modage.<br />
101