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GERMINAL Emile ZOLA - livrefrance.com

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Le septième jour, Catherine se penchait pour boire, lorsqu'elle heurta de la main un<br />

corps flottant devant elle.<br />

- Dis donc, regarde... Qu'est-ce que c'est<br />

Etienne tâta dans les ténèbres.<br />

- Je ne <strong>com</strong>prends pas, on dirait la couverture d'une porte d'aérage.<br />

Elle but, mais <strong>com</strong>me elle puisait une seconde gorgée, le corps revint battre sa main.<br />

Et elle poussa un cri terrible.<br />

- C'est lui, mon Dieu!<br />

- Qui donc<br />

- Lui, tu sais bien J'ai senti ses moustaches.<br />

C'était le cadavre de Chaval, remonté du plan incliné, poussé jusqu'à eux par la crue.<br />

Etienne allongea le bras, sentit aussi les moustaches, le nez broyé; et un frisson de<br />

répugnance et de peur le secoua. Prise d'une nausée abominable, Catherine avait<br />

craché l'eau qui lui restait à la bouche. Elle croyait qu'elle venait de boire du sang, que<br />

toute cette eau profonde, devant elle, était maintenant le sang de cet homme.<br />

- Attends, bégaya Etienne, je vais le renvoyer.<br />

Il donna un coup de pied au cadavre, qui s'éloigna. Mais, bientôt, ils le sentirent de<br />

nouveau qui tapait dans leurs jambes.<br />

- Nom de Dieu! va-t'en donc!<br />

Et, la troisième fois, Etienne dut le laisser. Quelque courant le ramenait. Chaval ne<br />

voulait pas partir, voulait être avec eux, contre eux. Ce fut un affreux <strong>com</strong>pagnon, qui<br />

acheva d'empoisonner l'air. Pendant toute cette journée, ils ne burent pas, luttant,<br />

aimant mieux mourir; et, le lendemain seulement, la souffrance les décida: ils<br />

écartaient le corps à chaque gorgée, ils buvaient quand même. Ce n'était pas la peine<br />

de lui casser la tête, pour qu'il revînt entre lui et elle, entêté dans sa jalousie. Jusqu'au<br />

bout, il serait là, même mort, pour les empêcher d'être ensemble.<br />

Encore un jour, et encore un jour. Etienne, à chaque frisson de l'eau, recevait un<br />

léger coup de l'homme qu'il avait tué, le simple coudoiement d'un voisin qui rappelait<br />

sa présence. Et, toutes les fois, il tressaillait. Continuellement, il le voyait, gonflé,<br />

verdi, avec ses moustaches rouges, dans sa face broyée. Puis, il ne se souvenait plus,<br />

il ne l'avait pas tué, l'autre nageait et allait le mordre. Catherine, maintenant, était<br />

secouée de crises de larmes, longues, interminables, après lesquelles un accablement<br />

l'anéantissait. Elle finit par tomber dans un état de somnolence invincible. Il la<br />

réveillait, elle bégayait des mots, elle se rendormait tout de suite, sans même soulever<br />

les paupières; et, de crainte qu'elle ne se noyât, il lui avait passé un bras à la taille.<br />

C'était lui, maintenant, qui répondait aux camarades. Les coups de rivelaine<br />

approchaient, il les entendait derrière son dos. Mais ses forces diminuaient aussi, il<br />

avait perdu tout courage à taper. On les savait là, pourquoi se fatiguer encore Cela<br />

ne l'intéressait plus, qu'on pût venir. Dans l'hébétement de son attente, il en était,<br />

pendant des heures, à oublier ce qu'il attendait.<br />

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