GERMINAL Emile ZOLA - livrefrance.com
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Chez la Mouquette, le pain manquait également: c'était son dîner qu'elle lui avait mis<br />
de force dans ce torchon, en le baisant de tout son coeur.<br />
- Merci, répondit-il à la Maheude qui lui offrait sa part. J'ai mangé là-bas.<br />
Il mentait, il regardait d'un air sombre les enfants se jeter sur la nourriture. Le père<br />
et la mère, eux aussi, se retenaient, afin d'en laisser davantage; mais le vieux,<br />
goulûment, avalait tout. On dut lui reprendre une pomme de terre pour Alzire.<br />
Alors, Etienne dit qu'il avait appris des nouvelles. La Compagnie, irritée de<br />
l'entêtement des grévistes, parlait de rendre leurs livrets aux mineurs <strong>com</strong>promis. Elle<br />
voulait la guerre, décidément. Et un bruit plus grave circulait elle se vantait d'avoir<br />
décidé un grand nombre d'ouvriers à redescendre: le lendemain, la Victoire et Feutry-<br />
Cantel devaient être au <strong>com</strong>plet; même il y aurait, à Madeleine et à Mirou, un tiers des<br />
hommes. Les Maheu furent exaspérés.<br />
- Nom de Dieu! cria le père, s'il y a des traîtres, faut régler leur <strong>com</strong>pte!<br />
Et, debout, cédant à l'emportement de sa souffrance:<br />
- A demain soir, dans la forêt!... Puisqu'on nous empêche de nous entendre au Bon-<br />
Joyeux, c'est dans la forêt que nous serons chez nous.<br />
Ce cri avait réveillé le vieux Bonnemort, que sa gloutonnerie assoupissait. C'était le<br />
cri ancien de ralliement, le rendez-vous où les mineurs de jadis allaient <strong>com</strong>ploter leur<br />
résistance aux soldats du roi.<br />
- Oui, oui, à Vandame! J'en suis, si l'on va là-bas!<br />
La Maheude eut un geste énergique.<br />
- Nous irons tous. Ca finira, ces injustices et ces traîtrises!<br />
Etienne décida que le rendez-vous serait donné à tous les corons, pour le lendemain<br />
soir. Mais le feu était mort, <strong>com</strong>me chez les Levaque, et la chandelle brusquement<br />
s'éteignit. Il n'y avait plus de houille, plus de pétrole, il fallut se coucher à tâtons, dans<br />
le grand froid qui pinçait la peau. Les petits pleuraient.<br />
IV, VI<br />
Jeanlin, guéri, marchait à présent; mais ses jambes étaient si mal recollées, qu'il<br />
boitait de la droite et de la gauche; et il fallait le voir filer d'un train de canard, courant<br />
aussi fort qu'autrefois, avec son adresse de bête malfaisante et voleuse.<br />
Ce soir-là, au crépuscule, sur la route de Réquillart, Jeanlin, ac<strong>com</strong>pagné de ses<br />
inséparables, Bébert et Lydie, faisait le guet. Il s'était embusqué dans un terrain<br />
vague, derrière une palissade, en face d'une épicerie borgne, plantée de travers à<br />
l'encoignure d'un sentier. Une vieille femme, presque aveugle, y étalait trois ou quatre<br />
sacs de lentilles et de haricots, noirs de poussière; et c'était une antique morue sèche,<br />
pendue à la porte, chinée de chiures de mouche, qu'il couvait de ses yeux minces.<br />
Déjà deux fois, il avait lancé Bébert, pour aller la décrocher. Mais, chaque fois, du<br />
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