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GERMINAL Emile ZOLA - livrefrance.com

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courant, tandis qu'il attendait derrière le terri, sur le chemin de halage. Six heures<br />

sonnèrent, le ciel terreux pâlissait, s'éclairait d'une aube rougeâtre, lorsque l'abbé<br />

Ranvier déboucha d un sentier, avec sa soutane relevée sur ses maigres jambes.<br />

Chaque lundi, il allait dire une messe matinale à la chapelle d'un couvent, de l'autre<br />

côté de la fosse.<br />

- Bonjour, mon ami, cria-t-il d'une voix forte, après avoir dévisagé le jeune homme<br />

de ses yeux de flamme.<br />

Mais Etienne ne répondit pas. Au loin, entre les tréteaux du Voreux, il venait de voir<br />

passer une femme, et il s'était précipité, pris d'inquiétude, car il avait cru reconnaître<br />

Catherine.<br />

Depuis minuit, Catherine battait le dégel des routes. Chaval, en rentrant et en la<br />

trouvant couchée, l'avait mise debout d'un soufflet. Il lui criait de passer tout de suite<br />

par la porte, si elle ne voulait pas sortir par la fenêtre; et, pleurante, vêtue à peine,<br />

meurtrie de coups de pied dans les jambes, elle avait dû descendre, poussée dehors<br />

d'une dernière claque. Cette séparation brutale l'étourdissait, elle s'était assise sur une<br />

borne, regardant la maison, attendant toujours qu'il la rappelât; car ce n'était pas<br />

possible, il la guettait, il lui dirait de remonter, quand il la verrait grelotter ainsi,<br />

abandonnée, sans personne pour la recueillir.<br />

Puis, au bout de deux heures, elle se décida, mourant de froid, dans cette immobilité<br />

de chien jeté à la rue. Elle sortit de Montsou, revint sur ses pas, n'osa ni appeler du<br />

trottoir ni taper à la porte. Enfin, elle s'en alla par le pavé, sur la grande route droite,<br />

avec l'idée de se rendre au coron, chez ses parents. Mais, quand elle y fut, une telle<br />

honte la saisit, qu'elle galopa le long des jardins dans la crainte d'être reconnue de<br />

quelqu'un, malgré le lourd sommeil, appesanti derrière les persiennes closes. Et, dès<br />

lors, elle vagabonda, effarée au moindre bruit, tremblante d'être ramassée et<br />

conduite, <strong>com</strong>me une gueuse, à cette maison publique de Marchiennes, dont la<br />

menace la hantait d'un cauchemar depuis des mois. Deux fois, elle buta contre le<br />

Voreux, s'effraya des grosses voix du poste courut essoufflée, avec des regards en<br />

arrière, pour voir si on ne la poursuivait pas. La ruelle de Réquillart était toujours<br />

pleine d'hommes soûls, elle y retournait pourtant, dans l'espoir vague d'y rencontrer<br />

celui qu'elle avait repoussé, quelques heures plus tôt.<br />

Chaval, ce matin-là, devait descendre; et cette pensée ramena Catherine vers la<br />

fosse, bien qu'elle sentît l'inutilité de lui parler: c'était fini entre eux. On ne travaillait<br />

plus à Jean-Bart, il avait juré de l'étrangler, si elle reprenait du travail au Voreux, où il<br />

craignait d'être <strong>com</strong>promis par elle. Alors, que faire partir ailleurs, crever la faim,<br />

céder sous les coups de tous les hommes qui passeraient Elle se traînait, chancelait<br />

au milieu des ornières, les jambes rompues, crottée jusqu'à l'échine. Le dégel roulait<br />

maintenant par les chemins en fleuve de fange, elle s'y noyait, marchant toujours,<br />

n'osant chercher une pierre où s'asseoir:<br />

Le jour parut. Catherine venait de reconnaître le dos de Chaval qui tournait<br />

prudemment le terri, lorsqu'elle aperçut Lydie et Bébert, sortant le nez de leur<br />

cachette, sous la provision des bois. Ils y avaient passé la nuit aux aguets, sans se<br />

permettre de rentrer chez eux, du moment où l'ordre de Jeanlin était de l'attendre; et,<br />

tandis que ce dernier, à Réquillart, cuvait l'ivresse de son meurtre, les deux enfants<br />

s'étaient pris aux bras l'un de l'autre, pour avoir chaud. Le vent sifflait entre les<br />

perches de châtaignier et de chêne, ils se pelotonnaient, <strong>com</strong>me dans une hutte de<br />

bûcheron abandonnée. Lydie n'osait dire à voix haute ses souffrances de petite femme<br />

battue, pas plus que Bébert ne trouvait le courage de se plaindre des claques dont le<br />

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