25.01.2015 Views

GERMINAL Emile ZOLA - livrefrance.com

GERMINAL Emile ZOLA - livrefrance.com

GERMINAL Emile ZOLA - livrefrance.com

SHOW MORE
SHOW LESS
  • No tags were found...

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

Il n'avait pas lâché sa morue, et s'était mis à en gratter proprement les chiures de<br />

mouche, avec un beau couteau neuf, un de ces petits couteaux-poignards à manche<br />

d'os, où sont inscrites des devises. Celui-ci portait le mot "Amour", simplement.<br />

- Tu as un joli couteau, fit remarquer Etienne.<br />

- C'est un cadeau de Lydie, répondit Jeanlin, qui négligea d'ajouter que Lydie l'avait<br />

volé, sur son ordre, à un camelot de Montsou, devant le débit de la Tête-Coupée.<br />

Puis, <strong>com</strong>me il grattait toujours, il ajouta d'un air fier:<br />

- N'est-ce pas qu'on est bien chez moi... On a un peu plus chaud que là-haut, et ça<br />

sent joliment meilleur!<br />

Etienne s'était assis, curieux de le faire causer. Il n'avait plus de colère, un intérêt le<br />

prenait, pour cette crapule d'enfant, si brave et si industrieux dans ses vices. Et, en<br />

effet, il goûtait un bien- être, au fond de ce trou: la chaleur n'y était plus trop forte,<br />

une température égale y régnait en dehors des saisons, d'une tiédeur de bain,<br />

pendant que le rude décembre gerçait sur la terre la peau des misérables. En<br />

vieillissant, les galeries s'épuraient des gaz nuisibles, tout le grisou était parti, on ne<br />

sentait là maintenant que l'odeur des anciens bois fermentés, une odeur subtile<br />

d'éther, <strong>com</strong>me aiguisée d'une pointe de girofle. Ces bois, du reste, devenaient<br />

amusants à voir, d'une pâleur jaunie de marbre, frangés de guipures blanchâtres, de<br />

végétations floconneuses qui semblaient les draper d'une passementerie de soie et de<br />

perles. D'autres se hérissaient de champignons. Et il y avait des vols de papillons<br />

blancs, des mouches et des araignées de neige, une population décolorée, à jamais<br />

ignorante du soleil.<br />

- Alors, tu n'as pas peur demanda Etienne.<br />

Jeanlin le regarda, étonné.<br />

- Peur de quoi puisque je suis tout seul.<br />

Mais la morue était grattée enfin. Il alluma un petit feu de bois, étala le brasier et la<br />

fit griller. Puis il coupa un pain en deux. C'était un régal terriblement salé, exquis tout<br />

de même pour des estomacs solides.<br />

Etienne avait accepté sa part.<br />

- Ca ne m'étonne plus, si tu engraisses, pendant que nous maigrissons tous. Sais-tu<br />

que c'est cochon de t'empiffrer!... Et les autres, tu n'y songes pas<br />

- Tiens! pourquoi les autres sont-ils trop bêtes<br />

- D'ailleurs, tu as raison de te cacher, car si ton père apprenait que tu voles, il<br />

t'arrangerait.<br />

- Avec ça que les bourgeois ne nous volent pas! C'est toi qui le dis toujours. Quand<br />

j'ai chipé ce pain chez Maigrat, c'était bien sûr un pain qu'il nous devait.<br />

Le jeune homme se tut, la bouche pleine, troublé. Il le regardait, avec son museau,<br />

ses yeux verts, ses grandes oreilles, dans sa dégénérescence d'avorton à l'intelligence<br />

161

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!