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GERMINAL Emile ZOLA - livrefrance.com

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dangers, quand on pénétra enfin dans les galeries, la remonte des victimes fut<br />

lugubre. Ni le porion ni les ouvriers n'étaient morts, mais des plaies affreuses les<br />

couvraient, exhalaient une odeur de chair grillée; ils avaient bu le feu, les brûlures<br />

descendaient jusque dans leur gorge; et ils poussaient un hurlement continu, suppliant<br />

qu'on les achevât. Des trois mineurs, un était l'homme qui, pendant la grève, avait<br />

crevé la pompe de Gaston-Marie d'un dernier coup de pioche; les deux autres<br />

gardaient des cicatrices aux mains, les doigts écorchés, coupés, à force d'avoir lancé<br />

des briques sur les soldats. La foule, toute pâle et frémissante, se découvrit quand ils<br />

passèrent.<br />

Debout, la Maheude attendait. Le corps de Zacharie parut enfin. Les vêtements<br />

avaient brûlé, le corps n'était qu'un charbon noir, calciné, méconnaissable. Broyée<br />

dans l'explosion, la tête n'existait plus. Et, lorsqu'on eut déposé ces restes affreux sur<br />

un brancard, la Maheude les suivit d'un pas machinal, les paupières ardentes, sans<br />

une larme. Elle tenait dans ses bras Estelle assoupie, elle s'en allait tragique, les<br />

cheveux fouettés par le vent. Au coron, Philomène demeura stupide, les yeux changés<br />

en fontaines, tout de suite soulagée. Mais déjà la mère était retournée du même pas à<br />

Réquillart: elle avait ac<strong>com</strong>pagné son fils, elle revenait attendre sa fille.<br />

Trois jours encore s'écoulèrent. On avait repris les travaux de sauvetage, au milieu de<br />

difficultés inouïes. Les galeries d'approche ne s'étaient heureusement pas éboulées, à<br />

la suite du coup de grisou; seulement, l'air y brûlait, si lourd et si vicié, qu'il avait fallu<br />

installer d'autres ventilateurs. Toutes les vingt minutes, les haveurs se relayaient. On<br />

avançait, deux mètres à peine les séparaient des camarades. Mais, à présent, ils<br />

travaillaient le froid au coeur, tapant dur uniquement par vengeance; car les bruits<br />

avaient cessé, le rappel ne sonnait plus sa petite cadence claire. On était au douzième<br />

jour des travaux, au quinzième de la catastrophe; et, depuis le matin, un silence de<br />

mort s'était fait.<br />

Le nouvel accident redoubla la curiosité de Montsou, les bourgeois organisaient des<br />

excursions, avec un tel entrain, que les Grégoire se décidèrent à suivre le monde. On<br />

arrangea une partie, il fut convenu qu'ils se rendraient au Voreux dans leur voiture,<br />

tandis que Mme Hennebeau y amènerait dans la sienne Lucie et Jeanne. Deneulin leur<br />

ferait visiter son chantier, puis on rentrerait Dar Réquillart, où ils sauraient de Négrel à<br />

quel point exact en étaient les galeries, et s'il espérait encore. Enfin, on dînerait<br />

ensemble le soir.<br />

Lorsque, vers trois heures, les Grégoire et leur fille Cécile descendirent devant la<br />

fosse effondrée, ils y trouvèrent Mme Hennebeau, arrivée la première, en toilette bleu<br />

marine, se garantissant, sous une ombrelle, du pâle soleil de février. Le ciel, très pur,<br />

avait une tiédeur de printemps. Justement, M. Hennebeau était là, avec Deneulin; et<br />

elle écoutait d'une oreille distraite les explications que lui donnait ce dernier sur les<br />

efforts qu'on avait dû faire pour endiguer le canal. Jeanne, qui emportait toujours un<br />

album, s'était mise à crayonner, enthousiasmée par l'horreur du motif; pendant que<br />

Lucie, assise à côté d'elle sur un débris de wagon, poussait aussi des exclamations<br />

d'aise, trouvant ça "épatant". La digue, inachevée, laissait passer des fuites<br />

nombreuses, dont les flots d'écume roulaient, tombaient en cascade dans l'énorme<br />

trou de la fosse engloutie. Pourtant, ce cratère se vidait, l'eau bue par les terres<br />

baissait, découvrait l'effrayant gâchis du fond. Sous l'azur tendre de la belle journée,<br />

c'était un cloaque, les ruines d'une ville abîmée et fondue dans de la boue.<br />

- Et l'on se dérange pour voir ça! s'écria M. Grégoire, désillusionné.<br />

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