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GERMINAL Emile ZOLA - livrefrance.com

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qu'ils s'ébrouaient ensemble, avaient l'air de se lamenter, le vieux d'en être à ne plus<br />

se souvenir, le jeune de ne pouvoir oublier. A l'écurie, voisins de mangeoire, ils<br />

vivaient la tête basse, se soufflant aux naseaux, échangeant leur continuel rêve du<br />

jour, des visions d'herbes vertes, de routes blanches, de clartés jaunes, à l'infini. Puis,<br />

quand Trompette, trempé de sueur, avait agonisé sur sa litière, Bataille s'était mis à le<br />

flairer désespérément, avec des reniflements courts, pareils à des sanglots. Il le<br />

sentait devenir froid, la mine lui prenait sa joie dernière, cet ami tombé d'en haut,<br />

frais de bonnes odeurs, qui lui rappelaient sa jeunesse au plein air. Et il avait cassé sa<br />

longe, hennissant de peur, lorsqu'il s'était aperçu que l'autre ne remuait plus.<br />

Mouque, du reste, avertissait depuis huit jours le maître-porion. Mais on s'inquiétait<br />

bien d'un cheval malade, en ce moment-là! Ces messieurs n'aimaient guère déplacer<br />

les chevaux. Maintenant, il fallait pourtant se décider à le sortir. La veille, le<br />

palefrenier avait passé une heure avec deux hommes, ficelant Trompette. On attela<br />

Bataille, pour l'amener jusqu'au puits. Lentement, le vieux cheval tirait, traînait le<br />

camarade mort, par une galerie si étroite, qu'il devait donner des secousses, au risque<br />

de l'écorcher; et, harassé, il branlait la tête, en écoutant le long frôlement de cette<br />

masse attendue chez l'équarrisseur. A l'accrochage, quand on l'eut dételé, il suivit de<br />

son oeil morne les préparatifs de la remonte, le corps poussé sur des traverses, audessus<br />

du puisard, le filet attaché sous une cage. Enfin, les chargeurs sonnèrent à la<br />

viande, il leva le cou pour le regarder partir, d'abord doucement, puis tout de suite<br />

noyé de ténèbres, envolé à jamais en haut de ce trou noir. Et il demeurait le cou<br />

allongé, sa mémoire vacillante de bête se souvenait peut-être des choses de la terre.<br />

Mais c'était fini, le camarade ne verrait plus rien, lui-même serait ainsi ficelé en un<br />

paquet pitoyable, le jour où il remonterait par là. Ses pattes se mirent à trembler, le<br />

grand air qui venait des campagnes lointaines l'étouffait; et il était <strong>com</strong>me ivre, quand<br />

il rentra pesamment à l'écurie.<br />

Sur le carreau, les charbonniers restaient sombres, devant le cadavre de Trompette.<br />

Une femme dit à demi-voix:<br />

- Encore un homme, ça descend si ça veut!<br />

Mais un nouveau flot arrivait du coron, et Levaque qui marchait en tête, suivi de la<br />

Levaque et de Bouteloup, criait:<br />

- A mort, les Borains! pas d'étrangers chez nous! à mort! à mort!<br />

Tous se ruaient, il fallut qu'Etienne les arrêtât. Il s'était approché du capitaine, un<br />

grand jeune homme mince, de vingt-huit ans à peine, à la face désespérée et résolue;<br />

et il lui expliquait les choses, il tâchait de le gagner, guettant l'effet de ses paroles. A<br />

quoi bon risquer un massacre inutile est-ce que la justice ne se trouvait pas du côté<br />

des mineurs On était tous frères, on devait s'entendre. Au mot de république, le<br />

capitaine avait eu un geste nerveux. Il gardait une raideur militaire, il dit<br />

brusquement:<br />

- Au large! ne me forcez pas à faire mon devoir.<br />

Trois fois, Etienne re<strong>com</strong>mença. Derrière lui, les camarades grondaient. Le bruit<br />

courait que M. Hennebeau était à la fosse, et on parlait de le descendre par le cou,<br />

pour voir s'il abattrait son charbon lui-même. Mais c'était un faux bruit, il n'y avait là<br />

que Négrel et Dansaert, qui tous deux se montrèrent un instant à une fenêtre de la<br />

recette: le maître-porion se tenait en arrière, décontenancé depuis son aventure avec<br />

la Pierronne; tandis que l'ingénieur, bravement, promenait sur la foule ses petits yeux<br />

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