GERMINAL Emile ZOLA - livrefrance.com
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Maheu, effrayé, s'était élancé un des premiers, en disant à Etienne:<br />
- Faut pas qu'ils le tuent!<br />
Celui-ci courait déjà; puis, quand il eut <strong>com</strong>pris que Deneulin s'était barricadé dans la<br />
chambre des porions, il répondit:<br />
- Après est-ce que ce serait de notre faute Un enragé pareil!<br />
Cependant, il était plein d'inquiétude, trop calme encore pour céder à ce coup de<br />
colère. Il souffrait aussi dans son orgueil de chef, en voyant la bande échapper à son<br />
autorité, s'enrager en dehors de la froide exécution des volontés du peuple, telle qu'il<br />
l'avait prévue. Vainement, il réclamait du sang-froid, il criait qu'on ne devait pas<br />
donner raison à leurs ennemis par des actes de destruction inutile.<br />
- Aux chaudières! hurlait la Brûlé. Eteignons les feux!<br />
Levaque, qui avait trouvé une lime, l'agitait <strong>com</strong>me un poignard, dominant le tumulte<br />
d'un cri terrible:<br />
- Coupons les câbles! coupons les câbles!<br />
Tous le répétèrent bientôt, seuls, Etienne et Maheu continuaient à protester, étourdis,<br />
parlant dans le tumulte, sans obtenir le silence. Enfin, le premier put dire:<br />
- Mais il y a des hommes au fond, camarades!<br />
Le vacarme redoubla, des voix partaient de toutes parts.<br />
- Tant pis! fallait pas descendre!... C'est bien fait pour les traîtres!... Oui, oui, qu'ils y<br />
restent!... Et puis, ils ont les échelles!<br />
Alors, quand cette idée des échelles les eut fait s'entêter davantage, Etienne <strong>com</strong>prit<br />
qu'il devait céder. Dans la crainte d'un plus grand désastre, il se précipita vers la<br />
machine, voulant au moins remonter les cages, pour que les câbles, sciés au-dessus<br />
du puits, ne pussent les broyer de leur poids énorme, en tombant sur elles. Le<br />
machineur avait disparu, ainsi que les quelques ouvriers du jour; et il s'empara de la<br />
barre de mise en train, il manoeuvra, pendant que Levaque et deux autres grimpaient<br />
à la charpente de fonte, qui supportait les molettes. Les cages étaient à peine fixées<br />
sur les verrous qu'on entendit le bruit strident de la lime mordant l'acier. Il se fit un<br />
grand silence, ce bruit sembla emplir la fosse entière, tous levaient la tête,<br />
regardaient, écoutaient, saisis d'émotion. Au premier rang, Maheu se sentait gagner<br />
d'une joie farouche, <strong>com</strong>me si les dents de la lime les eussent délivrés du malheur, en<br />
mangeant le câble d'un de ces trous de misère, où l'on ne descendrait plus.<br />
Mais la Brûlé avait disparu par l'escalier de la baraque, en hurlant toujours:<br />
- Faut renverser les feux! aux chaudières! aux chaudières!<br />
Des femmes la suivaient. La Maheude se hâta pour les empêcher de tout casser, de<br />
même que son homme avait voulu raisonner les camarades. Elle était la plus calme,<br />
on pouvait exiger son droit, sans faire du dégât chez le monde. Lorsqu'elle entra dans<br />
le bâtiment des chaudières, les femmes en chassaient déjà les deux chauffeurs, et la<br />
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