GERMINAL Emile ZOLA - livrefrance.com
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pleine poitrine enfin, l'acheva. Il y eut un craquement, il tomba sur le dos, de la chute<br />
lourde d'un sac de plâtre qu'on décharge.<br />
Etienne attendit.<br />
- Relève-toi. Si tu en veux encore, nous allons re<strong>com</strong>mencer.<br />
Sans répondre, Chaval, après quelques secondes d'hébétement, se remua par terre,<br />
détira ses membres. Il se ramassait avec peine, il resta un instant sur les genoux, en<br />
boule, faisant de sa main, au fond de sa poche, une besogne qu'on ne voyait pas.<br />
Puis, quand il fut debout, il se rua de nouveau, la gorge gonflée d'un hurlement<br />
sauvage.<br />
Mais Catherine avait vu; et, malgré elle, un grand cri lui sortit du coeur et l'étonna,<br />
<strong>com</strong>me l'aveu d'une préférence ignorée d'elle- même.<br />
- Prends garde! il a son couteau!<br />
Etienne n'avait eu que le temps de parer le premier coup avec son bras. La laine du<br />
tricot fut coupée par l'épaisse lame, une de ces lames qu'une virole de cuivre fixe dans<br />
un manche de buis. Déjà, il avait saisi le poignet de Chaval, une lutte effrayante<br />
s'engagea, lui se sentant perdu s'il lâchait, l'autre donnant des secousses, pour se<br />
dégager et frapper. L'arme s'abaissait peu à peu, leurs membres raidis se fatiguaient,<br />
deux fois Etienne eut la sensation froide de l'acier contre sa peau; et il dut faire un<br />
effort suprême, il broya le poignet dans une telle étreinte, que le couteau glissa de la<br />
main ouverte. Tous deux s'étaient jetés par terre, ce fut lui qui le ramassa, qui le<br />
brandit à son tour. Il tenait Chaval renversé sous son genou, il menaçait de lui ouvrir<br />
la gorge.<br />
- Ah! nom de Dieu de traître, tu vas y passer!<br />
Une voix abominable, en lui, l'assourdissait. Cela montait de ses entrailles, battait<br />
dans sa tête à coups de marteau, une brusque folie du meurtre, un besoin de goûter<br />
au sang. Jamais la crise ne l'avait secoué ainsi. Pourtant, il n'était pas ivre. Et il luttait<br />
contre le mal héréditaire, avec le frisson désespéré d'un furieux d'amour qui se débat<br />
au bord du viol. Il finit par se vaincre, il lança le couteau derrière lui, en balbutiant<br />
d'une voix rauque:<br />
- Relève-toi, va-t'en!<br />
Cette fois, Rasseneur s'était précipité, mais sans trop oser se risquer entre eux, dans<br />
la crainte d'attraper un mauvais coup. Il ne voulait pas qu'on s'assassinât chez lui, il<br />
se fâchait si fort, que sa femme, toute droite au <strong>com</strong>ptoir, lui faisait remarquer qu'il<br />
criait toujours trop tôt. Souvarine, qui avait failli recevoir le couteau dans les jambes,<br />
se décidait à allumer sa cigarette. C'était donc fini Catherine regardait encore,<br />
stupide devant les deux hommes, vivants l'un et l'autre.<br />
- Va-t'en! répéta Etienne, va-t'en ou je t'achève!<br />
Chaval se releva, essuya d'un revers de main le sang qui continuait à lui couler du<br />
nez; et, la mâchoire barbouillée de rouge, l'oeil meurtri, il s'en alla en traînant les<br />
jambes, dans la rage de sa défaite. Machinalement, Catherine le suivit. Alors, il se<br />
redressa, sa haine éclata en un flot d'ordures.<br />
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