GERMINAL Emile ZOLA - livrefrance.com
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entretenir, la Maheude, dégrafée, un sein hors du corsage et tombant jusqu'au ventre,<br />
faisait téter Estelle.<br />
Lorsque le jeune homme replia la lettre, elle l'interrogea.<br />
- Est-ce de bonnes nouvelles va-t-on nous envoyer de l'argent<br />
Il répondit non du geste, et elle continua:<br />
- Cette semaine, je ne sais <strong>com</strong>ment nous allons faire... Enfin, on tiendra tout de<br />
même. Quand on a le bon droit de son côté, n'est-ce pas ça vous donne du coeur, on<br />
finit toujours par être les plus forts.<br />
A cette heure, elle était pour la grève, raisonnablement. Il aurait mieux valu forcer la<br />
Compagnie à être juste, sans quitter le travail. Mais, puisqu'on l'avait quitté, on devait<br />
ne pas le reprendre, avant d'obtenir justice. Là-dessus, elle se montrait d'une énergie<br />
intraitable. Plutôt crever que de paraître avoir eu tort, lorsqu'on avait raison!<br />
- Ah! s'écria Etienne, s'il éclatait un bon choléra, qui nous débarrassât de tous ces<br />
exploiteurs de la Compagnie!<br />
- Non, non, répondit-elle, il ne faut souhaiter la mort à personne. Ca ne nous<br />
avancerait guère, il en repousserait d'autres... Moi, je demande seulement que ceux-là<br />
reviennent à des idées plus sensées, et j'attends ça, car il y a des braves gens<br />
partout... Vous savez que je ne suis pas du tout pour votre politique.<br />
En effet, elle blâmait d'habitude ses violences de paroles, elle le trouvait batailleur.<br />
Qu'on voulût se faire payer son travail ce qu'il valait, c'était bon; mais pourquoi<br />
s'occuper d'un tas de choses, des bourgeois et du gouvernement pourquoi se mêler<br />
des affaires des autres, où il n'y avait que de mauvais coups à attraper Et elle lui<br />
gardait son estime, parce qu'il ne se grisait pas et qu'il lui payait régulièrement ses<br />
quarante-cinq francs de pension. Quand un homme avait de la conduite, on pouvait lui<br />
passer le reste.<br />
Etienne, alors, parla de la République, qui donnerait du pain à tout le monde. Mais la<br />
Maheude secoua la tête, car elle se souvenait de 48, une année de chien, qui les avait<br />
laissés nus <strong>com</strong>me des vers, elle et son homme, dans les premiers temps de leur<br />
ménage. Elle s'oubliait à en conter les embêtements d'une voix morne, les yeux<br />
perdus, la gorge à l'air, tandis que sa fille Estelle, sans lâcher le sein, s'endormait sur<br />
ses genoux. Et, absorbé lui aussi, Etienne regardait fixement ce sein énorme, dont la<br />
blancheur molle tranchait avec le teint massacré et jauni du visage.<br />
- Pas un liard, murmurait-elle, rien à se mettre sous la dent, et toutes les fosses qui<br />
s'arrêtaient. Enfin, quoi! la crevaison du pauvre monde, <strong>com</strong>me aujourd'hui!<br />
Mais, à ce moment, la porte s'ouvrit, et ils restèrent muets de surprise devant<br />
Catherine qui entrait. Depuis sa fuite avec Chaval, elle n'avait plus reparu au coron.<br />
Son trouble était si grand, qu'elle ne referma pas la porte, tremblante et muette. Elle<br />
<strong>com</strong>ptait trouver sa mère seule, la vue du jeune homme dérangeait la phrase<br />
préparée en route.<br />
- Qu'est-ce que tu viens ficher ici cria la Maheude, sans même quitter sa chaise. Je<br />
ne veux plus de toi, va-t'en!<br />
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