GERMINAL Emile ZOLA - livrefrance.com
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Sa femme avait couché là! Quand il eut poussé le verrou, il rouvrit sa main, il regarda<br />
le flacon, qui s'était marqué en rouge dans sa chair. Brusquement, il voyait, il<br />
entendait, cette ordure se passait chez lui depuis des mois. Il se rappelait son ancien<br />
soupçon, les frôlements contre les portes, les pieds nus s'en allant la nuit par la<br />
maison silencieuse. Oui, c'était sa femme qui montait coucher là!<br />
Tombé sur une chaise, en face du lit qu'il contemplait fixement, il demeura de longues<br />
minutes <strong>com</strong>me assommé. Un bruit le réveilla, on frappait à la porte, on essayait<br />
d'ouvrir. Il reconnut la voix du domestique.<br />
- Monsieur... Ah! monsieur s'est enfermé...<br />
- Quoi encore <br />
- Il paraît que ça presse, les ouvriers cassent tout. Deux autres hommes sont en bas.<br />
Il y a aussi des dépêches.<br />
- Fichez-moi la paix! dans un instant!<br />
L'idée qu'Hippolyte aurait découvert lui-même le flacon, s'il avait fait la chambre le<br />
matin, venait de le glacer. Et, d'ailleurs, ce domestique devait savoir, il avait trouvé<br />
vingt fois le lit chaud encore de l'adultère, des cheveux de madame traînant sur<br />
l'oreiller, des traces abominables souillant les linges. S'il s'acharnait à le déranger,<br />
c'était méchamment. Peut-être était-il demeuré l'oreille collée à la porte, excité par la<br />
débauche de ses maîtres.<br />
Alors, M. Hennebeau ne bougea plus. Il regardait toujours le lit. Le long passé de<br />
souffrance se déroulait, son mariage avec cette femme, leur malentendu immédiat de<br />
cœur et de chair, les amants qu'elle avait eus sans qu'il s'en doutât, celui qu'il lui avait<br />
toléré pendant dix ans, <strong>com</strong>me on tolère un goût immonde à une malade. Puis, c'était<br />
leur arrivée à Montsou, un espoir fou de la guérir, des mois d'alanguissement, d'exil<br />
ensommeillé, l'approche de la vieillesse qui allait enfin la lui rendre. Puis, leur neveu<br />
débarquait, ce Paul dont elle devenait la mère, auquel elle parlait de son cœur mort,<br />
enterré sous la cendre à jamais. Et, mari imbécile, il ne prévoyait rien, il adorait cette<br />
femme qui était la sienne, que des hommes avaient eue, que lui seul ne pouvait avoir!<br />
Il l'adorait d'une passion honteuse, au point de tomber à genoux, si elle avait bien<br />
voulu lui donner le reste des autres! Le reste des autres, elle le donnait à cet enfant.<br />
Un coup de timbre lointain, à ce moment, fit tressaillir M. Hennebeau. Il le reconnut,<br />
c'était le coup que l'on frappait, d'après ses ordres, lorsque arrivait le facteur. Il se<br />
leva, il parla à voix haute, dans un flot de grossièreté, dont sa gorge douloureuse<br />
crevait malgré lui.<br />
- Ah! je m'en fous! ah! je m'en fous, de leurs dépêches et de leurs lettres!<br />
Maintenant, une rage l'envahissait, le besoin d'un cloaque, pour y enfoncer de telles<br />
saletés à coups de talon. Cette femme était une salope, il cherchait des mots crus, il<br />
en souffletait son image. L'idée brusque du mariage qu'elle poursuivait d'un sourire si<br />
tranquille entre Cécile et Paul, acheva de l'exaspérer. Il n'y avait donc même - plus de<br />
passion, plus de jalousie, au fond de cette sensualité vivace Ce n'était à cette heure<br />
qu'un joujou pervers, l'habitude de l'homme, une récréation prise <strong>com</strong>me un dessert<br />
accoutumé. Et il l'accusait de tout, il innocentait presque l'enfant, auquel elle avait<br />
mordu, dans ce réveil d'appétit, ainsi qu'on mord au premier fruit vert, volé sur la<br />
route. Qui mangerait-elle, jusqu'où tomberait-elle, quand elle n'aurait plus des neveux<br />
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