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GERMINAL Emile ZOLA - livrefrance.com

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amper sur les coudes et sur les genoux. Lorsque Etienne se retourna, pris du besoin<br />

de voir, l'affaissement du toit continuait, écrasait lentement le corps, sous la poussée<br />

énorme. Et il n'y eut plus rien, rien que la masse profonde de la terre.<br />

Jeanlin, de retour chez lui, dans son coin de caverne scélérate, s'étala sur le foin, en<br />

murmurant, brisé de lassitude:<br />

- Zut! les mioches m'attendront, je vais dormir une heure.<br />

Etienne avait soufflé la chandelle, dont il ne restait qu'un petit bout. Lui aussi était<br />

courbaturé, mais il n'avait pas sommeil, des pensées douloureuses de cauchemar<br />

tapaient <strong>com</strong>me des marteaux dans son crâne. Une seule bientôt demeura, torturante,<br />

le fatiguant d'une interrogation à laquelle il ne pouvait répondre: pourquoi n'avait-il<br />

pas frappé Chaval, quand il le tenait sous le couteau et pourquoi cet enfant venait-il<br />

d'égorger un soldat, dont il ignorait même le nom Cela bousculait ses croyances<br />

révolutionnaires, le courage de tuer, le droit de tuer. Etait-ce donc qu'il fût lâche<br />

Dans le foin, l'enfant s'était mis à ronfler, d'un ronflement d'homme soûl, <strong>com</strong>me s'il<br />

eût cuvé l'ivresse de son meurtre. Et, répugné, irrité, Etienne souffrait de le savoir là,<br />

de l'entendre. Tout d'un coup, il tressaillit, le souffle de la peur lui avait passé sur la<br />

face. Un frôlement léger, un sanglot lui semblait être sorti des profondeurs de la terre.<br />

L'image du petit soldat, couché là-bas avec son fusil, sous les roches, lui glaça le dos<br />

et fit dresser ses cheveux. C'était imbécile, toute la mine s'emplissait de voix, il dut<br />

rallumer la chandelle, il ne se calma qu'en revoyant le vide des galeries, à cette clarté<br />

pâle.<br />

Pendant un quart d'heure encore, il réfléchit, toujours ravagé par la même lutte, les<br />

yeux fixés sur cette mèche qui brûlait. Mais il y eut un grésillement, la mèche se<br />

noyait, et tout retomba aux ténèbres. Il fut repris d un frisson, il aurait giflé Jeanlin,<br />

pour l'empêcher de ronfler si fort. Le voisinage de l'enfant lui devenait si<br />

insupportable, qu'il se sauva, tourmenté d'un besoin de grand air, se hâtant par les<br />

galeries et par le goyot, <strong>com</strong>me s'il avait entendu une ombre s'essouffler derrière ses<br />

talons.<br />

En haut, au milieu des dé<strong>com</strong>bres de Réquillart, Etienne put enfin respirer largement.<br />

Puisqu'il n'osait tuer, c'était à lui de mourir; et cette idée de mort, qui l'avait effleuré<br />

déjà, renaissait, s'enfonçait dans sa tête, <strong>com</strong>me une espérance dernière. Mourir<br />

crânement, mourir pour la révolution, cela terminerait tout, réglerait son <strong>com</strong>pte bon<br />

ou mauvais, l'empêcherait de penser davantage. Si les camarades attaquaient les<br />

Borains, il serait au premier rang, il aurait bien la chance d'attraper un mauvais coup.<br />

Ce fut d'un pas raffermi qu'il retourna rôder autour du Voreux. Deux heures sonnaient,<br />

un gros bruit de voix sortait de la chambre des porions, où campait le poste qui<br />

gardait la fosse. La disparition de la sentinelle venait de bouleverser ce poste, on était<br />

allé réveiller le capitaine, on avait fini par croire à une désertion, après un examen<br />

attentif des lieux. Et, aux aguets dans l'ombre, Etienne se souvenait de ce capitaine<br />

républicain, dont le petit soldat lui avait parlé. Qui sait si on ne le déciderait pas à<br />

passer au peuple la troupe mettrait la crosse en l'air, cela pouvait être le signal du<br />

massacre des bourgeois. Un nouveau rêve l'emporta, il ne songea plus à mourir, il<br />

resta des heures, les pieds dans la boue, la bruine du dégel sur les épaules, enfiévré<br />

par l'espoir d'une victoire encore possible.<br />

Jusqu'à cinq heures, il guetta les Borains. Puis, il s'aperçut que la Compagnie avait eu<br />

la malignité de les faire coucher au Voreux. La descente <strong>com</strong>mençait, les quelques<br />

grévistes du coron des Deux-Cent- Quarante, postés en éclaireurs, hésitaient à<br />

prévenir les camarades. Ce fut lui qui les avertit du bon tour, et ils partirent en<br />

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